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Samudra Report

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0973–113x
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mars
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2015
Poissons chanteurs
Vous envoyez des saletés dans l’étang
où fredonnaient les poissons chanteurs !
Ils ne fredonnent plus, car leurs branchies sont toutes colmatées.
Alors je les renvoie. Oh, leur avenir est sombre.
Ils marcheront sur leurs nageoires, et seront terriblement fatigués
À la recherche d’un peu d’eau qui ne soit pas si polluée
— In The Lorax de Dr Seuss
Compte-rendu / CONFÉRENCE
À la recherche des bons droits
UserRights 2015 au Cambodge : un forum mondial sur l’approche fondée sur les droits de pêche
Ce compte-rendu a été écrit par Sebastian Mathew (icsf@icsf.net), Conseiller pour les programmes à l’ICSF
En accueillant la conférence UserRights 2015 : Fisheries for ever, organisée par la FAO et le Gouvernement du Cambodge dans la ville historique d’Angkor Vat, du 23 au 27 mars 2015, Eng Chea San, Directeur général de l’Administration des pêches au Ministère de l’agriculture, des forêts et des pêches du Cambodge, a exprimé l’espoir que cette assemblée permettra aux différents groupes de partager leurs expériences afin de parvenir à une compréhension collective des régimes de droits pour que les communautés de pêche en tirent le meilleur parti.
Se référant au cas du Cambodge, il souligne la nécessité d’une action collective dans l’intérêt mutuel pour autonomiser les communautés et apporter du poisson pour les consommateurs d’aujourd’hui et ceux des temps à venir. Les pêcheries communautaires du Cambodge sont le fruit d’une démarche fondée sur des responsabilités mutuelles pour une utilisation durable des ressources halieutiques. Ce système a permis, dit-il,...
Compte-rendu / CONFÉRENCE
À la recherche des bons droits
UserRights 2015 au Cambodge : un forum mondial sur l’approche fondée sur les droits de pêche
Ce compte-rendu a été écrit par Sebastian Mathew (icsf@icsf.net), Conseiller pour les programmes à l’ICSF
En accueillant la conférence UserRights 2015 : Fisheries for ever, organisée par la FAO et le Gouvernement du Cambodge dans la ville historique d’Angkor Vat, du 23 au 27 mars 2015, Eng Chea San, Directeur général de l’Administration des pêches au Ministère de l’agriculture, des forêts et des pêches du Cambodge, a exprimé l’espoir que cette assemblée permettra aux différents groupes de partager leurs expériences afin de parvenir à une compréhension collective des régimes de droits pour que les communautés de pêche en tirent le meilleur parti.
Se référant au cas du Cambodge, il souligne la nécessité d’une action collective dans l’intérêt mutuel pour autonomiser les communautés et apporter du poisson pour les consommateurs d’aujourd’hui et ceux des temps à venir. Les pêcheries communautaires du Cambodge sont le fruit d’une démarche fondée sur des responsabilités mutuelles pour une utilisation durable des ressources halieutiques. Ce système a permis, dit-il, d’éliminer la propriété privée et de la remplacer par un usage collectif.
Parlant du fleuve Mékong, du lac Tonle Sap et des eaux côtières de ce pays, Jean-François Cautain, ambassadeur de l’Union européenne au Cambodge, qualifie cet ensemble de « plus vaste et plus développé système de pêcheries communautaires dans le monde », tout en rappelant que, dans un environnement aussi sensible et fragile, les pêches de capture pourraient bien souffrir de divers facteurs : barrages, développement des infrastructures dans le bassin du Mékong, industrialisation, urbanisation…
Dans son discours d’ouverture, Mam Amnot, Secrétaire d’État au Ministère de l’agriculture, espère que la démarche fondée sur les droits de pêche, grâce notamment au soutien apporté ainsi aux pêches artisanales, contribuera à améliorer la nutrition, la sécurité alimentaire, les revenus, la situation des pauvres et marginalisés en particulier.
À la session plénière, Kate Bonzon, Directrice principale, programme Océans, Fonds pour la défense environnementale, États-Unis, donne un aperçu des types de droits d’utilisateur et de la façon dont ceux-ci peuvent préserver les ressources de la pêche, garantir la sécurité alimentaire, contribuer à l’élimination de la pauvreté et mener au développement des communautés de pêche.
Diversité des droits fonciers
Il existe, dit-elle, une diversité surprenante de droits fonciers dans le secteur de la pêche. Certains concernent quelques participants seulement, d’autres des milliers. Certains ciblent des espèces sédentaires proches du rivage, d’autres des espèces très migratoires. Certains mettent en œuvre des embarcations, engins et techniques à forte intensité de capital, tandis que d’autres récoltent simplement à la main, utilisent la force du vent, se servent d’engins rudimentaires.
Il y a des droits fonciers qui portent sur une seule espèce, d’autres sur plusieurs espèces à la fois. Certains garantissent une part de la ressource, d’autres une zone de pêche. Il y en a qui attribuent des droits à des groupes, à des individus ; d’autres qui autorisent un transfert permanent, ou temporaire, ou pas du tout. Ces distinctions montrent bien la souplesse des régimes de droits fonciers, conclut l’intervenante.
Mme Kaing Khim, Directrice générale adjointe de l’Administration des pêches, Ministère de l’agriculture, fait part de l’expérience du Cambodge en matière de mise en place d’un système de droits d’utilisateur dans les pêcheries lacustres, en faisant ressortir les aspects sociaux, économiques et environnementaux. En 2000, le gouvernement proclamait sa nouvelle politique : la propriété individuelle des lots de pêche était supprimée et ces espaces réattribués à des petits pêcheurs sous forme de pêcheries communautaires. Ces réformes avaient pour objectif de réduire les conflits entre petits engins et gros engins, de réduire en même temps le niveau de surpêche. Les communautés rurales auraient un meilleur accès au poisson et à un moyen de subsistance. Depuis 2010, un total de 8 600 km² de ces espaces a été mis à la disposition des petits pêcheurs locaux. Les 10 % restants ont été mis de côté à des fins de conservation. À ce jour, on compte en tout 516 pêcheries communautaires.
La législation relative à la pêche a été amendée, avec l’introduction d’un cadre juridique pour prendre en compte ces pêcheries communautaires, maintenant gérées par des Comités qui incluent des représentants locaux élus. Ces pêcheries restent propriété de l’État, mais les communautés jouissent de droits fonciers sur des zones de pêche définies. Elles peuvent non seulement organiser leurs activités de pêche conformément à la règlementation mais également se lancer dans la pisciculture et la transformation du poisson, opter pour de nouveaux moyens de subsistance et gérer ces espaces comme il convient. Elles doivent lutter contre la pêche illégale en collaboration avec les autorités. Ces réformes ont débouché sur une augmentation de la production, sur une meilleure implication de la population dans la gestion de la ressource. Les gens ont ainsi mieux compris l’importance des initiatives de conservation.
Dedi S. Adhuri, chercheur principal au Centre de recherche sur la société et la culture, Institut indonésien des Sciences, présente le cas d’une approche écosystémique de la gestion des pêches via la relance d’un régime de cogestion traditionnel appelé awik-awik dans la Baie de Jor, département du Lombok-Est. Il s’agissait de gérer les conflits entre la pêche de capture, l’élevage en cages, la pisciculture, et aussi protéger la mangrove, les coraux, les herbiers dans un espace de 10 km², avec la participation de deux communautés villageoises. Ce projet a permis d’éliminer les pratiques de pêche destructrices, de réduire les conflits entre groupes d’utilisateurs ou au sein des groupes, dit l’intervenant.
Patricia Jack-Jossien, responsable du plan VSD (Jours de mer) des Parties à l’accord de Nauru, à Majuro, Îles Marshall, parle des VSD pour les senneurs, mis en place en 2007 pour contrôler l’effort de pêche, fixer des limites globales pour les jours de pêche accordés aux senneurs dans les eaux des pays PNA. Les VSD ont remplacé l’accès garanti à ces eaux pour les senneurs de pêche lointaine contre le versement d’une redevance. En 2015, un total admissible d’effort (TAE) d’environ 45 000 jours a été fixé. Les navires participant au système VSD (environ 280) ont des observateurs à bord et sont surveillés par satellite. La valeur d’un jour de pêche est passée de 1 100 dollars en 2010 à 10 000 dollars en 2015. Les revenus générés par les VSD attribués à ces senneurs ont été multipliés par six : 60 millions de dollars en 2010, 365 millions en 2015, soit maintenant 14 % de la valeur des captures de la zone économique exclusive (ZEE) des PNA. L’intervenante conclut : « Le plan VSD est l’agent transformateur le plus efficace dans la pêcherie. C’est à la fois un excellent outil pour assurer la durabilité et un instrument économique ».
Minerva Arce-Ibarra présente l’expérience des droits d’usage territoriaux communautaires lancée en 2007 au fond du Golfe de Californie, Mexique, pour la conservation de poisson endémique menacé. Un ensemble de permis de pêche et de quotas de capture attribués à trois communautés locales (comprenant le peuple autochtone Cocopah) a été mis en place dans un secteur choisi du Golfe afin de protéger des bancs de reproduction et de réguler la pression exercée par la pêche. Les permis étaient valides pour deux ans et renouvelables. Ils pouvaient être héréditaires mais pas transférables. Le peuple Cocopah n’était cependant pas satisfait car leur terre ancestrale faisait partie de la zone centrale de l’aire protégée.
Malgré l’accès règlementé, les femmes et les jeunes continuent de pêcher faute de trouver une autre occupation. Les moyens de contrôle perdaient de leur efficacité à la suite des restructurations des institutions fédérales de la pêche au Mexique, en termes de budgets et de personnel. Malgré le système fondé sur les droits, la population des espèces menacées a continué à se fragiliser, dit l’intervenante. Les communautés locales étaient bien lentes à adopter ce dispositif.
Sherry Pictou, Première nation de Bear River, Canada, parle de la relation entre une approche fondée sur des droits de propriété et une approche fondée sur des droits autochtones, dans le contexte des pêches de capture intérieures et marines sur les terres ancestrales des Mi’kmaqs au Canada atlantique, particulièrement en Nouvelle-Écosse. Elle analyse l’histoire des quotas individuels transférables (QIT) et la décision de la Cour Suprême du Canada (Décision Marshall) qui reconnait au peuple Mi’kmaq un droit issu des traités à pratiquer une pêche de subsistance. Parmi les communautés qui essaient d’établir leur droit à tirer une subsistance convenable de la pêche au Canada atlantique, il y a la Première nation de Bear River et la Première nation Paqtnkek. Leurs lieux de pêche traditionnels sont dans les terres et en mer.
Selon la décision Marshall, si le peuple Mi’kmaq n’est pas autorisé à accumuler de la richesse dans ses activités de pêche, d’en retirer des profits économiques, il peut cependant assurer ainsi une subsistance convenable pour la famille. Le Ministère des pêches et des océans (MPO/DFO) ne reconnaît pas pleinement ce droit issu des traités ; et il n’existe toujours pas de mécanisme d’application du principe de pêche de subsistance, dit l’intervenante.
Le point de vue Mi’kmaq
Les Mi’kmaqs sont opposés aux droits de propriété pour plusieurs raisons. Premièrement, dans l’approche fondée sur des droits de propriété, le marché fait la loi et surpasse les droits autochtones. Deuxièmement, dans des pays comme le Canada, les systèmes de droits de propriété (QIT, par exemple) ont compromis les moyens de subsistance de la pêche artisanale. Troisièmement, l’approche fondée sur les droits de propriété va à l’encontre des Directives sur la pêche artisanale et les Directives sur les régimes fonciers qui se réfèrent aux normes universelles relatives aux droits de l’homme, notamment les droits autochtones dans le cadre de la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones. Quatrièmement, les systèmes de droits de propriété entraînent une marchandisation des obligations émanant des traités et autres engagements juridiques, en les plaçant sur le marché pour achat ou vente, en mettant ainsi de côté l’écologie humaine. Cinquièmement, compte tenu des luttes engagées pour établir une pêche de subsistance dans le cadre d’un mandat limité émanant de la Décision Marshall, les Premières nations de Bear River et Paqtnkek tirent la conclusion que le droit des sociétés et le droit de propriété supplantent les droits de l’homme et les plus solides droits ancestraux et issus de traités reconnus par la Constitution. L’intervenante attire l’attention sur le rapport 2014 du Rapporteur spécial sur les droits des peuples autochtones au Canada qui souligne la nécessité de trouver des solutions aux revendications territoriales et autres au titre des traités.
Pour les peuples indigènes et les communautés de pêche artisanale, l’expression fondée sur les droits signifie bien autre chose que les QIT. Dans une pêcherie fondée sur les droits autochtones, on reconnaît les droits ancestraux et la dimension spirituelle de ces droits (Netukulimk). On utilise la ressource dont on a besoin et on laisse le reste pour les temps à venir. L’intervenante conclut en disant qu’il importe maintenant de bien mettre en œuvre les Directives PAD dans l’intérêt des petits pêcheurs, y compris les peuples autochtones.
Kristján Skarphéðinsson, Secrétaire permanent au Ministère islandais de l’industrie et de l’innovation, fait observer que les pêcheries de son pays sont maintenant « durables, efficaces et très rentables ». Les flottes islandaises (y compris les petits bateaux) ont évolué positivement pour prélever au mieux les parts de quotas qui leur étaient attribuées, pour transformer les captures et offrir de meilleures conditions de travail aux équipages.
L’une des plus intéressantes réussites du système islandais de gestion des pêches, dit-il, c’est l’appui incontesté au principe de faire reposer l’attribution des quotas sur des données scientifiques. Avec le système en place, il y a moins de navires, moins d’usines de transformation (du faite des fusions et acquisitions). L’automatisation des processus a gagné du terrain et il y a moins de gens à travailler dans le secteur de la pêche : il employait 12 % de la main-d’œuvre en 1983, seulement 5,3 % en 2014. Mais de nouveaux emplois ont été créés dans les techniques de l’information et des services de génie mécanique.
Les navires, moins nombreux et plus performants, n’ont pas à courir après le poisson, ce qui a fait passer la consommation totale de carburant de 244 000 tonnes en 1993 à 151 000 tonnes en 2013. Au cours de cette période, les revenus générés par les exportations de produits de la mer sont passés de 1,4 milliard de dollars (187 milliards de couronnes) à 2 milliards (272 milliards de couronnes). La production de cabillaud a été presque divisée par deux (460 000 tonnes en 1981, 236 000 tonnes en 2013) ; mais sa valeur à l’exportation a plus que doublé dans le même temps (de 303 millions à 720 millions de dollars).
De solides entreprises
Les revenus moyens des entreprises de pêche islandaises, avant déduction d’intérêts, impôts, dépréciation et amortissement, sont passés de 7 % en 1980-1984 à 15 % en 1984-1992, et même 22 % entre 1992 et 2012, alors que la production de cabillaud était généralement à la baisse au cours de cette période. Il y a eu une concentration des quotas entre les mains de grandes sociétés verticalement intégrées. La part de capture des dix plus gros détenteurs de quotas est progressivement passée de 24 % en 1992 à 32 % en 1999, à 47 % en 2004, à 52 % en 2014.
Les charges directes (impôts, cotisations sociales, redevances pêche et autres) prélevées sur les entreprises sont passées de 37 millions de dollars (5 milliards de couronnes) en 2004 à 184 millions de dollars (25 milliards de couronnes) en 2013, ce qui représente environ 10 % de la valeur des exportations des produits de la mer. L’intervenant note que certains critiques estiment que les grosses entreprises sont devenues très puissantes et qu’elles devraient verser plus que ces 10 % au Trésor public.
Une nouvelle législation est en cours d’élaboration pour clarifier certains aspects : les droits de pêche sont la propriété de l’État, les quotas de pêche prendront la forme de contrats à durée déterminée entre l’État et chaque entreprise, l’État prélèvera une redevance pour cette mise à disposition contractuelle. Le Parlement fixera la durée de ces contrats, le laps de temps au terme duquel l’État ou bien les renouvellera ou bien les révoquera. L’intervenant précise qu’il faudra aussi s’accorder sur des quotas communautaires spéciaux, qui constituent déjà 5,3 % du total des quotas.
La session plénière continue au second jour de la conférence. Annie Jarrett, directrice générale de NPFI (Northern Prawn Fishery Industry Private Limited), parle des droits d’usage dans une pêcherie de crevettes du Grand Nord de l’Australie, en évoquant les aspects sociaux, économiques et environnementaux. La valeur au débarquement de sa production (essentiellement crevette banane et crevette tigre dans une zone de 770 000 km²) varie entre 50 et 74 millions de dollars, ce qui en fait la plus importante pêcherie de crevettes du pays. La flottille est composée de 52 chalutiers congélateurs de 20-24 m mettant en œuvre des chaluts à panneaux à gréement double, triple, quadruple.
C’est une pêcherie à accès limité, avec contrôle des intrants sous forme de droits de pêche statutaires (SFR), applicables aux navires (1 SFR par navire) et aux engins de capture. L’intervenante raconte les différents stades des réformes qui, entre 1965 et 1977, ont transformé un libre accès en accès limité. Les mesures initiales de contrôle de l’effort de pêche ne parvenaient pas à réduire la pression et les capacités de capture, ni à freiner la surpêche.
En 2000, des réformes ont instauré des droits portant sur l’unité de capture et l’unité d’effort individuel transférable (ITE), pleinement transférable et divisible. La valeur de l’unité de capture en rapport avec la longueur de la ralingue supérieure était ajustée pour tenir compte de l’évolution rampante entre productivité et effort. Cela a permis de faire sortir 100 navires entre 2000 et 2007.
Dans cette pêcherie, il y a une égalité des chances : depuis les années 1970, on y trouve des femmes qui sont capitaines, cuisinières, matelots. Et 50 % des observateurs embarqués sont aussi des femmes. Il y a une participation d’Autochtones et de non-Australiens dans ces activités. Il y a des programmes pour améliorer la sécurité, protéger les travailleurs et améliorer leurs compétences.
Parmi les répercussions sociales du système des droits en rapport avec l’unité de capture, on citera la stabilité de l’emploi, des carrières longues, de meilleurs salaires, une participation aux bénéfices sous forme de primes. De nouveaux parcours professionnels sont également apparus : administrateurs à terre, opérateurs de navire-mère, observateurs scientifiques, gestionnaires des pêches, chargés de la commercialisation ou du recrutement…
L’intervenante fait remarquer que 70 % des droits de pêche sont détenus par des entreprises grandes ou moyennes (entre 5 et 12 navires), le reste étant constitué de petits opérateurs exploitant entre 1 et 4 unités. Il y a en tout 19 propriétaires. Ce n’est plus comme en 2000 où grands et petits exploitants avaient un pourcentage égal de droits de pêche.
Répercussions économiques
Sur ce point, le nombre de navires est passé de 134, avant l’introduction des unités de capture en 1998-1999, à 52 en 2011-2012. Au cours de la même période, le revenu par navire est passé de 860 000 dollars à 1,4 million de dollars. Parmi les avantages environnementaux, on citera : amélioration de l’état des stocks pour la crevette banane et la crevette tigre, empreinte écologique réduite (8 % de la zone seulement exploitée), réduction de 50 % des captures accidentelles de tortues, raies et requins.
Un système basé sur les droits peut avoir beaucoup de succès ou tourner au désastre, note l’intervenante. L’une des principales leçons à tirer de l’élaboration et de la mise en œuvre de droits d’usage est la nécessité d’impliquer pleinement les diverses parties prenantes. « Il faut trouver les bons droits, les rectifier au besoin. Un manque d’intérêt de la part des parties concernées donnera lieu à des abus, à l’échec du système ».
Ragnar Arnason, économiste des pêches, président de l’Institut d’études économiques, Université d’Islande, dit que les QIT sont « le système le plus répandu de gestion des pêches fondée sur les droits ». Il a été adopté par au moins 22 grands pays de pêche. Près de 25 % des captures mondiales entre dans ce régime. Si l’on considère les effets induits de ces QIT, notamment le tableau général à l’échelle mondiale, on constate une réussite économique très solide : réduction de l’effort de pêche, hausse du prix unitaire des débarquements, réduction du capital investi, augmentation de la valeur des quotas. Sur le plan biologique, les QIT ont un succès modéré : reprise de la biomasse, réduction des rejets, sensibilisation des pêcheurs à une bonne gestion de la ressource.
En matière sociale, les QIT ont modifié la structure de l’industrie de la pêche et des communautés de pêche. Il y a plus d’efficacité dans les opérations et techniques de pêche. Ils ont poussé à une consolidation des opérations. Il y a ainsi moins de navires et moins de pêcheurs. Certains s’enrichissent, et une culture plus capitaliste se répand. En principe, les régimes de droits de propriété permettent de résoudre les principaux problèmes de la pêche ; mais des difficultés persistent dans la pratique. Il reste difficile de définir et de faire appliquer des droits de propriété. Il est infiniment coûteux de les faire respecter. D’un point de vue socio-politique, les QIT sont infaisables.
Ces difficultés apparaissent particulièrement pour les pêches artisanales des pays en développement d’Afrique et d’Asie qui représentent 50 % des captures mondiales. Pour ces raisons, on s’est intéressé aux droits communautaires.
L’intervenant fait observer que, des études de cas présentés durant la conférence, il ressort que les résultats bio-économiques sont bons si les droits individuels sont solides et les droits communautaires sont faibles. Et les effets sociaux semblent bons lorsque les droits communautaires sont robustes et les droits individuels faibles.
Seth Macinko, maître de conférences au Département des affaires marines, Université de Rhode Island, États-Unis, dit qu’il importe de clarifier ce que l’on entend par approche fondée sur les droits, ce que viennent faire là des droits, et la nature des droits dont on est en train de débattre. Comment peut-on dire qu’un programme particulier est fondé sur les droits ? S’agit-il de droits humains, de droits autochtones, de droits d’usage, de droits fonciers ?
Pour les adeptes de la privatisation, les QIT sont « l’une des plus importantes évolutions institutionnelles de notre temps : l’enclosure ou clôturage et privatisation des ressources collectives des océans ».
L’intervenant ajoute que l’argumentation en faveur de la privatisation des pêches est foncièrement erronée ; car gestion des pêches et possession de ressources halieutiques sont deux choses différentes. Dans le cadre des limites de captures totales, on pourrait attribuer à chaque bateau un volume qu’il pourrait prélever où et quand il voudrait, dans le respect évidemment des autres règlementations. Cette attribution préétablie constitue un simple outil ; vouloir qu’il ait la forme de la propriété privée, sans quoi il ne peut fonctionner, c’est tomber dans l’idéologie. Les quotas de pêche individuels doivent être considérés comme des parts de capture et non pas comme des droits de propriété. En matière de choix des politiques, les options seraient plus nombreuses si l’outil en question (les parts de captures) pouvait échapper aux idéologues de la propriété privée. L’intervenant affirme : « Certaines options politiques sont interdites à la table de négociations par pur dogmatisme idéologique ».
Les conséquences (souhaitées ou non souhaitées) des démarches de privatisation devraient être traitées, continue l’intervenant, notamment le remplacement des petits bateaux par de plus grands, de plus performants et plus chers, et la concentration des quotas sur un petit nombre de navires très spécialisés. Le passage par la privatisation pour prélever des volumes établis a mis hors de portée du public et des petits pêcheurs les ressources halieutiques, et les a remises entre les mains de gros détenteurs de quotas qui ne paient pas pour ces quotas qui leur ont été attribués. Les partisans de la privatisation parlent maintenant ouvertement d’inviter La Bourse à participer au processus. L’intervenant craint que « le mouvement des enclosures sur l’eau » finira par chasser des activités de pêche les gens des communautés côtières ».
Telle qu’elle est pratiquée, la démarche de privatisation est incompatible avec les Directives sur les régimes fonciers, les Directives sur la pêche artisanale (PAD), les droits humains, les droits autochtones, déclare l’intervenant. Les citoyens devraient débattre et dire s’ils veulent que les biens communs restent propriété publique ou, au contraire, soient privatisés. Il faut un débat politique concernant l’utilisation de captures préétablies à la lumière des obligations des administrateurs du patrimoine public, pour décider aussi qui seront les bailleurs (par exemple, les parties établissant la location) dans un système de parts de capture.
Au cours de la table ronde qui a suivi le partage d’expériences relatives à l’approche fondée sur les droits, Christiana Louwa, du El Molo Forum, Kenya, exprime sa frustration parce que la législation des pêches de ce pays ne protège pas les populations tribales. Les possibilités de pêche sont de plus en plus fréquemment captées par des « personnes extérieures ». Les droits des peuples autochtones, tels que décrits dans l’UNDRIP/DNUDP, ne bénéficient pas aux tribus.
Arthur Bogason, du Forum mondial des pêcheurs et travailleurs de la pêche (WFF), fait observer que les parts de captures c’est la même chose que les QIT. Il ne faut pas parler à la légère de transférabilité quand les moyens de subsistance de populations sont en jeu. Sous ces régimes de QIT ou parts de captures, les communautés n’ont plus de droits d’accès à leurs lieux de pêche traditionnels. Personne n’a évalué le coût de la dépréciation de leur patrimoine (maisons, équipements de pêche) une fois qu’elles ont perdu leurs pêcheries, une fois qu’elles ont été obligées de quitter leurs lieux de vie.
La session plénière continue au troisième jour. Naseegh Jaffer, directeur du Masifundise Development Trust, Afrique du Sud, et coordinateur du Forum mondial des populations de pêcheurs (WFFP), dit que dans son pays les droits de pêche sont répartis de façon déséquilibrée. Pour traiter le problème de la surpêche, on a adopté en 1997 la Loi sur les ressources marines vivantes (MLRA). Il y a eu ensuite, en 2005, la Politique des pêches sur le long terme (LTFP) qui attribuait des droits de pêche suivant un système de quotas individuels profitant surtout à la pêche industrielle et aux entreprises de transformation.
La LTFP a entraîné une série d’erreurs stratégiques, dit l’intervenant. Elle ne reconnaissait pas les communautés de pêche traditionnelle et coutumière, dont les activités entraient ainsi dans l’illégalité. Seules les données biologiques étaient prises en compte par la législation et la politique : les sciences sociales ne jouaient aucun rôle. Les capacités institutionnelles étaient insuffisantes pour une bonne gestion des pêches. Et il n’y avait pas de sérieuses consultations avec les communautés. À cause de ces erreurs, les petits pêcheurs passaient pour des délinquants. Il y a eu une aggravation de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire, une rupture de la cohésion sociale, particulièrement dans des zones rurales défavorisées : les pêcheurs ne pouvaient plus faire face à leurs besoins essentiels. Le secteur souffrait de mauvaise gestion et de la politique politicienne. Finalement, le système de gestion en place perdait sa légitimité.
Les communautés ont commencé à se mobiliser pour une nouvelle forme de droits d’accès, fondés cette fois sur les besoins humains. Une action militante soutenue, couplée à l’élaboration des Directives sur la pêche artisanale critiquait les QIT, les droits privés, les droits de propriété, les parts de captures, les droits d’usage. On défendait au contraire une approche fondée sur les droits humains pour l’attribution de droits de pêche aux communautés. En 2012, une nouvelle politique relative au sous-secteur de la pêche artisanale a été adoptée ; et la MLRA a été amendée pour la mise en œuvre de cette politique.
Les QIT et autres pratiques semblables fondées sur les droits ne sont pas en conformité avec les principes universels des droits humains. Ce n’est pas une façon appropriée d’attribuer les droits de pêche, dit l’intervenant. L’élément clé pour une bonne orientation des politiques et législations en matière de gestion des pêches c’est une participation constructive des communautés de pêche. Une pluralité de modes d’attribution et de gestion est indispensable pour le bon fonctionnement d’une pêcherie. L’équité et la subsidiarité sont également deux principes essentiels dans la répartition des droits de pêche, conclut l’intervenant.
Sidibe Aboubacar, du Bureau interafricain des ressources animales de l’Union africaine (UA-BIRA), dit que les communautés de petits pêcheurs marginalisés de l’Afrique craignent que le secteur de la pêche soit privatisé, et que les puissants reçoivent bientôt le droit exclusif d’exploiter les ressources collectives qui assuraient leur subsistance. L’approche fondée sur les droits d’utilisateur est une nouveauté en Afrique. L’attribution des droits peut donner lieu à des contentieux si les critères retenus ne sont pas clairement définis et acceptés par les diverses parties prenantes. Les droits de pêche devraient être combinés avec les droits de gestion. Des droits de gestion d’une pêcherie en collaboration devraient être confiés à des organismes associatifs bien définis, des coopératives notamment, suggère l’intervenant.
Nadine Nembhard, coordinatrice du Réseau des organisations de pêcheurs des Caraïbes (CNFO), préconise une approche fondée sur les droits humains dans la pêche et dit que l’équité est l’aspect le plus important pour les droits d’accès. Elle donne l’exemple du Belize où les pêcheurs traditionnels ont le droit d’opérer dans les aires marines protégées.
Au cours de la séance de clôture, cinquième jour de la conférence, s’exprimant sur les faits marquants du forum sous divers points de vue, KwangSuk Oh, directeur de la Division pour la coopération internationale du Ministère des océans et des pêches de la République de Corée, fait observer que l’un des messages importants de cet évènement est le suivant : il faut que l’approche fondée sur les droits soit en cohérence avec les droits humains. À cet égard, il souligne la nécessité d’une bonne gouvernance. Il faut une législation contraignante pour protéger les femmes, le principe d’équité et les droits humains. L’Administration nationale et locale a son rôle à jouer dans ce domaine. Helga Josupeit, du Département des pêches et de l’aquaculture de la FAO, dit qu’il importe de débattre spécifiquement des droits des femmes à toutes les étapes de la chaine de valeur. C’est là un autre aspect clé qui se dégage de ce forum.
Rebecca Metzner, chef de la Sous-Division des politiques, économie et institutions, Département des pêches et de l’aquaculture de la FAO, fait savoir qu’il y a eu à cette conférence 139 participants venus de 38 pays d’Afrique, d’Asie, d’Amérique latine, des Caraïbes, d’Europe et d’Amérique du Nord. Les débats ont été globaux et ont porté sur un ensemble complet d’aspects, y compris l’approche fondée sur les droits humains dans la pêche. Le forum a tiré profit des nouveaux outils : Directives sur le droit à l’alimentation, Directives sur les régimes fonciers, Directives sur la pêche artisanale. Ce n’était pas le cas pour les conférences de ce genre tenues dans le passé. Ce forum a donné lieu à un débat triangulaire : sécurité alimentaire, moyens de subsistance, création de richesse. Il a analysé les questions d’équité et d’efficacité, débattu des priorités à adopter, où, quand et comment. Il a évoqué le déséquilibre des pouvoirs, les divers niveaux des règles de droit et de leur force exécutoire. La notion d’hétérogénéité est également bien apparue : populations, emplois, pays, genres, catégories de pêcheurs et de communautés, échelle et envergure… Pour ce qui est de l’avenir, il faudra, dit l’intervenante, renforcer les capacités pour « les actions en cours », notamment sensibiliser davantage les pêcheurs, les gestionnaires des pêches, les communautés et les responsables politiques, et aussi établir un calendrier pour la transition vers une pêche fondée sur les droits, en mettant en œuvre une gestion adaptée. Ce dialogue, conclut-elle, devra se poursuivre, pour rechercher une cohérence aux divers niveaux.
Pour plus d’information
www.fao.org/about/meetings/userrights-2015/fr/
UserRights 2015
http://igssf.icsf.net/
UserRights 2015 : forum mondial sur l’approche fondée sur les droits dans la pêche. Compte-rendu complet par Sebastian Mathew de l’ICSF