Inde / MASSES D’EAU
L’avenir est dans les terres
Bien gérées, les eaux intérieures peuvent renforcer durablement la sécurité alimentaire du pays
Cet article a été écrit par V V Sugunan (vasu.sugunan@gmail.com), ancient directeur général adjoint du Conseil indien de la recherche agronomique (ICAR,) New Delhi, Inde
La production de poisson en Inde a enregistré une croissance remarquable de 16 fois au cours des six dernières décennies, pour atteindre 12,59 millions de tonnes en 2017-2018, ce qui place le pays au second rang mondial des producteurs de poisson. Au cours de cette période, la part du poisson continental est passée de 30 % à 70 %, avec une production actuelle de 8,9 millions de tonnes. Plus de 14 millions de pêcheurs et de pisciculteurs trouvent là de quoi vivre ; et bien plus de gens trouvent aussi des moyens de subsistance dans des activités connexes : transformation, commerce, construction de bateaux, confection d’engins de pêche. La valeur ajoutée brute (VAB) de la pêche est estimée à 1 330 tn de roupies (17,80 milliards de dollars), ce qui représente près de 1 % de la VAB nationale, aux prix courants en 2016-17, et environ 5,37 % de la VAB du secteur agricole.
Considérant la pêche et l’aquaculture comme des secteurs...
Inde / MASSES D’EAU
L’avenir est dans les terres
Bien gérées, les eaux intérieures peuvent renforcer durablement la sécurité alimentaire du pays
Cet article a été écrit par V V Sugunan (vasu.sugunan@gmail.com), ancient directeur général adjoint du Conseil indien de la recherche agronomique (ICAR,) New Delhi, Inde
La production de poisson en Inde a enregistré une croissance remarquable de 16 fois au cours des six dernières décennies, pour atteindre 12,59 millions de tonnes en 2017-2018, ce qui place le pays au second rang mondial des producteurs de poisson. Au cours de cette période, la part du poisson continental est passée de 30 % à 70 %, avec une production actuelle de 8,9 millions de tonnes. Plus de 14 millions de pêcheurs et de pisciculteurs trouvent là de quoi vivre ; et bien plus de gens trouvent aussi des moyens de subsistance dans des activités connexes : transformation, commerce, construction de bateaux, confection d’engins de pêche. La valeur ajoutée brute (VAB) de la pêche est estimée à 1 330 tn de roupies (17,80 milliards de dollars), ce qui représente près de 1 % de la VAB nationale, aux prix courants en 2016-17, et environ 5,37 % de la VAB du secteur agricole.
Considérant la pêche et l’aquaculture comme des secteurs majeurs pour la sécurité alimentaire, la nutrition et l’emploi, le gouvernement indien a récemment effectué d’importants investissements dans ce domaine, par l’octroi de moyens financiers et un soutien institutionnel. Un département dédié à la pêche a été créé au sein du nouveau Ministère des pêches, de l’élevage et de la production laitière, qui aura pour mission de doubler les revenus des agriculteurs et d’atteindre l’objectif de 15 MT de poisson en 2022 dans le cadre de la Révolution bleue. Les initiatives lancées récemment, comme le Fonds de développement des infrastructures pour la pêche et l’aquaculture (75,5 milliards de roupies, soit 1 milliard de dollars) et le Pradhan Mantri Matsya Sampada Yojana (200,5 milliards de roupies, soit 2,7 milliards de dollars) pour la période2020-25, sont les plus gros projets de développement des pêches jamais mis en œuvre dans ce pays, avec pour objectif d’améliorer les revenus et la qualité de vie des pêcheurs et pisciculteurs.
Les pêches continentales sont particulièrement importantes pour des populations vulnérables sur le plan social, économique et nutritionnel à travers le monde. Mais pour pouvoir suivre ces pêcheries, il faut tout d’abord obtenir une vision complète de l’ampleur de leur contribution.
La discrétion de ces écosystèmes intérieurs (y compris leurs pêcheries) dans les Objectifs de développement durable des Nations Unies (ODD) traduit leur statut marginalisé dans les grandes enceintes politiques. L’Inde ne fait pas exception : mais la situation est en train d’évoluer rapidement à mesure que la pêche continentale trouve sa place dans les débats sur le développement. Cela a donné une impulsion aux travaux de recherche pour en savoir plus sur son importance.
Une petite pêche
Dans les pêches maritimes et l’aquaculture, il y a des opérations à petite et à grande échelle. Dans les eaux intérieures ouvertes de l’Inde, il s’agit exclusivement d’activités à petite échelle. Dans ces masses d’eau (y compris réservoirs et lacs), on utilise des embarcations traditionnelles (coracles, radeaux bricolés, pirogues, bateaux en bois rustiques) et surtout des filets maillants. Les bateaux à moteur sont rares même dans de grands réservoirs qui produisent plusieurs tonnes de poisson chaque année. Les pêcheurs individuels qui opèrent dans le cadre de coopératives ou qui louent un droit de pêche prélèvent des quantités limitées de poisson, souvent même en dessous du minimum vital. Toutes les variantes de la pêche intérieure en Inde relèvent de la pêche à petite échelle.
L’Inde est dotée d’abondantes ressources naturelles dans ses cours d’eau, ses étangs, lacs, réservoirs et zones humides des plaines d’inondation. Dans ces masses d’eau, les systèmes de production du poisson se résument essentiellement à des pêches de capture dans les fleuves, lagunes et lacs, à de l’aquaculture dans les étangs, et à diverses méthodes améliorées. Les améliorations (principalement basées sur l’élevage et la mise en valeur des stocks) pratiquées dans les réservoirs, les lacs et les zones humides des plaines inondables offrent des options relativement écologiques pour une production durable de poisson.
Les pêcheries des eaux continentales libres sont un mélange complexe de pêche artisanale, de pêche de subsistance et de pêche traditionnelle. Leur système de commercialisation est très dispersé et non organisé. Les régimes fonciers sont archaïques et inéquitables.
Les pêches de capture et de mise en valeur étant sous desrégimes de propriétécommune, souvent la communauté n’est pas habilitée à gérer l’écosystème et les pêcheries de manière durable et équitable. Des interventions appropriées au niveau politique sont indispensables pour les faire passer sous des plateformes de cogestion, et permettre ainsi aux membres de la communauté d’observer les normes.
Dans de nombreux cas, ce n’est pas la complexité des technologies à mettre en œuvre qui freine l’amélioration de la production et le maintien de la durabilité dans l’aquaculture et la pêche en eaux libres. La faible productivité et les pratiques non durables sont à attribuer à l’absence d’un dispositif de gouvernance communautaire adapté pour les pêches en eau libre, au manque de mécanismes institutionnels visant à réglementer la croissance de l’aquaculture.
Il y a aussi une dimension sociale dans la mise en valeur. Les profits tirés de l’aquaculture reviennent à un entrepreneur, un investisseur ou un petit groupe d’individus : c’est un retour sur investissement. Dans un régime équilibré, au contraire, il y aura un partage des bénéfices lorsque la production sera en hausse grâce à la mise en valeur de la pêcherie par un grand nombre de pêcheurs (les principaux intervenants). Il y a un grand gâteau, et chaque partie prenante en reçoit une petite part. Ainsi, la mise en valeur de la pêcherie devient l’occasion d’une croissance inclusive, équilibrée sur le plan économique et équitable sur le plan social.
Pour concrétiser le potentiel de production des masses d’eau libres et assurer une croissance durable de l’aquaculture, il faut s’attaquer à plusieurs défis. Les technologies utilisées pour développer les pêches de capture et les mises en valeur dans les eaux libres sont relativement simples; elles n’exigent pas un savoir-faire particulièrement élevé. Elles peuvent être appliquées par toute personne pourvue de compétences de base en matière de gestion et d’intelligence. Pourtant, le taux de prise en compte des avis scientifiques pour la pêche en eaux libres est remarquablement faible.
La plupart des masses d’eau du pays sont encore gérées de façon très arbitraire, ce qui donne lieu à une productivité faible et une durabilité médiocre. Cela tient sans doute à l’absence d’un cadre de gouvernance approprié. Les masses d’eau libre indiennes sont des biens collectifs ; leur gestion relèvegénéralement des activitéscommunautaires. Donc beaucoup dépend de l’organisation de la communautéqui s’occupe du système.
Voici les principales difficultés qui pèsent sur la pêche dans les eaux intérieures libres :
- Des régimes fonciers archaïques qui n’incitent pas la communauté de pêcheurs à tirer parti des ressources naturelles pour améliorer ses moyens de subsistance et générer des revenus de façon durable et équitable.
- Donc, les communautésqui utilisent ces masses d’eau comme biens communs ne sont ni organisées ni habilitées ; leurs ressources sont en fait exploitées par un grand nombre d’autres intervenants (intermédiaires, prêteurs d’argent…).
- Manque d’infrastructure après capture et pour le marché, longues chaînes de commercialisation, absence de valeur ajoutée, ce qui fait que la pêche n’est pas rentable pour les premiers intervenants.
Par rapport à l’aquaculture intensive, les pêches de capture, les pêches de capture fondées sur l’élevage permettent des choix de gestion plus conformes aux normes du développement durable. Les systèmes d’élevage ultra intensifs ne sont pas écologiquement durables. Très souvent, ils entraînent des inégalités sociales, empêchant de nombreuses parties prenantes d’accéder aux ressources. La future stratégie de développement des pêches intérieures devrait reposer sur le principe de la croissance et de la durabilité. Le développement durable ne devrait pas dégrader l’environnement ; il devrait être techniquement viable et socialement acceptable.
Production de poisson
Actuellement, la production de poisson en Inde croît au rythme annuel de 6 %. Diverses projections relatives à la demande pour le poisson d’eau douce au cours de la période 2021-2022 varient de 5,3 MT à 15MT. On considère que le pays pourrait atteindre les 15 MT à cette date, comme prévu dans les objectifs de la Révolution Bleue. Il est évident qu’une croissance forte des disponibilités doit provenir des eaux intérieures compte tenu du lent développement de la mariculture et de la baisse de la production dans les pêches de capture maritimes.
De 2009-2010 à 2017-2018, la production des pêches intérieures a augmenté d’environ 3 MT. On estime que la production actuelle de l’aquaculture intérieure se situe à environ 7,75 MT (7 MT pour l’aquaculture en eau douce, 0,75 million pour l’aquaculture côtière). À la fin de la période 2020-2021, on devrait parvenir à au moins 9 MT, avec l’aquaculture côtière s’approchant de 1 MT et l’aquaculture en eau douce apportant 1 MT de plus.
Il convient de noter que les améliorations de la pêche intérieure (et des pêches de capture) n’ont représentéque1 MT en 2016-2017, ce qui peut être porté à 2 MT. Combinée à la production des pêches de capture maritimes, c’est la façon d’atteindre l’objectif de la Révolution Bleue fixé à 15 MT à l’horizon 2020-21.
Au-delà de 2020-2021, le maintien de la croissance à 6 % sur une période prolongée (disons jusqu’à 2025-2026) sera confronté à de nombreux nouveaux défis. Les ressources en terres et en eau se raréfient à cause d’une demande croissante et souvent conflictuelle, venant de divers secteurs consommateurs de terrains et d’eau. Le changement climatique et les préoccupations environnementales accentuent le problème.
Il est inévitable de pratiquer l’aquaculture intensive afin de maintenir le rythme de croissance et de pouvoir répondre aux besoins futurs ; mais il est tout aussi important de s’assurer que tous les moyens d’augmenter la production grâce à une utilisation plus durable des ressources et la protection de l’écosystème soient explorés. D’où l’importance des pêcheries améliorées. La pêche d’élevage et d’autres systèmes de mise en valeur dans des réservoirs ne créent pas de nouveaux besoins en eau. Et comme il n’y a pas d’apport de nourriture ni de traitement chimique, on ne craint pas l’eutrophisation ou la pollution. Il convient donc de produire du poisson en tirant parti des pêches d’élevage, des pêches de capture améliorées et de l’élevage en cage durable dans des réservoirs. Là est la solution pour accroître de façon plus durable la production de poisson dans les eaux intérieures en Inde. Cela éviterait de trop dépendre de pratiques non durables, comme l’aquaculture intensive.
Comme tout autre secteur du développement, les pêcheries du pays sont à un tournant. Les ressources aquatiques vivantes sont certes renouvelables mais pas illimitées. Il faut les gérer selon des critères durables pour les mettre au service du bien-être nutritionnel, économique et social d’une population croissante. Dans leur enthousiasme à produire davantage de poisson dans toutes les masses d’eau disponibles, bon nombre de pays en développement ont eu les yeux sur les rendements en laissant de côté des aspects très sérieux, comme la durabilité écologique et l’équité sociale.
L’Inde n’a pas fait exception. Un certain nombre de biens et services écosystémiques, avec ce que cela signifiait pour la vie, la nutrition et la santé des populations riveraines, ont été quasiment ignorés, en tout cas durant les premières années du développement. De nos jours, on est davantage conscients des impacts écologiques, de la préservation de la biodiversité, des flux environnementaux. Une part importante de la communauté scientifique et de la société civile du pays en général est déterminée à rechercher un équilibre raisonnable entre durabilité et meilleure productivité.
Il serait bon que les planificateurs et décideurs politiques accordent plus d’attention aux petits pêcheurs qui opèrent dans les eaux intérieures du pays. Il y a un manque évident de mécanismes institutionnels pour veiller à une saine croissance de la pêche et de l’aquaculture dans les eaux intérieures. En général, les responsables de la planification des ressources aquatiques accordent bien peu d’intérêt aux pêcheries en eau douce et à leur base écologique, malgré leur productivité élevée, leur contribution aux moyens de subsistance et à la nutrition des populations pauvres. Cette mauvaise appréciation de l’importance de la petite pêche dans les eaux intérieures a plusieurs conséquences. Elle exacerbe le problème du manque de données, qui est une entrave à la recherche et à une bonne gestion.
La politique nationale relative aux pêches intérieures devrait
- Trouver un équilibre entre aquaculture et diverses pratiques d’amélioration pour parvenir à une plus grande production de poisson, pour assurer la durabilité environnementale et l’équité sociale ;
- ider les pêcheurs à s’organiser pour tirer parti des dispositifs de gestion communautaire et à établir leurs droits d’usage comme cela est prévu dans la Déclaration de Kyoto de 1995 ;
- Fournir les mécanismes institutionnels nécessaires pour veiller à une croissance saine de l’aquaculture et de la petite pêche dans les eaux intérieures.
Dans les pêches maritimes et l’aquaculture, il y a des opérations à petite et à grande échelle. Dans les eaux intérieures ouvertes de l’Inde, il s’agit exclusivement d’activités à petite échelle.
Image 1 : Évolution de la production de poisson au cours des six dernières décennies (millions de tonnes)
Image 2 : Les pêches artisanales en Inde
Image 3 : Systèmes de production du poisson en eaux intérieures et leur durabilité (Modifié à partir de Welcomme et Bartley, 1998)
Les pêches continentales sont particulièrement importantes pour des populations vulnérables sur le plan social, économique et nutritionnel à travers le monde.
Les ressources en terres et en eau se raréfient à cause d’une demande croissante et souvent conflictuelle venant de divers secteurs consommateurs de terrains et d’eau.
Il serait bon que les planificateurs et décideurs politiques accordent plus d’attention aux petits pêcheurs qui opèrent dans les eaux intérieures du pays.
Pour plus d’information
https://igssf.icsf.net/images/SSF%20India%20workshop/Kelkar_Situation%20Paper_Inland%20Fisheries%20and%20Aquaculture%20in%20India.pdf
Gouvernance des pêches et de l’aquaculture dans les eaux intérieures en Inde : Document d’information dans le contexte du Projet de politique nationale de la pêche et de l’aquaculture dans les eaux intérieures et des Directives SSF de la FAO, par Nachiket Kelkar
https://www.icsf.net/images/samudra/pdf/english/issue_81/4399_art_Sam_81_art16_FishCulture_%20JOHAR_Bipin_Bihari.pdf
India: Welcome, JOHAR