AMÉRIQUE DU SUD / BRÉSIL
Tendre la main, se tenir la main
Sandra Gomes, présidente de l’ACIMRN (Association des communautés indigènes du Moyen Rio Negro), parle des problèmes dus à la pandémie de COVID-19 dans ces populations
Lorena França (alorenafranca@ gmail. com), anthropologue et doctorante à l’Université fédérale de Santa Catarina, Brésil ; Luclécia Cristina Morais da Silva (lucrisms@yahoo.com.br), professeure, Institut fédéral de l’Amazonas et doctorante à l’Université fédérale de l’Amazonas, Brésil ; Beatriz Mesquita Pedrosa Ferreira (mesquitabia@hotmail.com), chercheuse, Fondation Joaquim Nabuco, Brésil, et membre de l’ICSF
Le Rio Negro, qui coule en Amazonie, est le plus grand fleuve à eaux noires du monde. Son bassin, qui s’étend sur une superficie d’environ 750 000 km2, représente 7 % de la surface totale du bassin de l’Amazone. De la Colombie préandine à son embouchure, il s’étire sur près de 1 700 km, ce qui en fait le principal tributaire de l’Amazone.
Il concentre une population
AMÉRIQUE DU SUD / BRÉSIL
Tendre la main, se tenir la main
Sandra Gomes, présidente de l’ACIMRN (Association des communautés indigènes du Moyen Rio Negro), parle des problèmes dus à la pandémie de COVID-19 dans ces populations
Lorena França (alorenafranca@ gmail. com), anthropologue et doctorante à l’Université fédérale de Santa Catarina, Brésil ; Luclécia Cristina Morais da Silva (lucrisms@yahoo.com.br), professeure, Institut fédéral de l’Amazonas et doctorante à l’Université fédérale de l’Amazonas, Brésil ; Beatriz Mesquita Pedrosa Ferreira (mesquitabia@hotmail.com), chercheuse, Fondation Joaquim Nabuco, Brésil, et membre de l’ICSF
Le Rio Negro, qui coule en Amazonie, est le plus grand fleuve à eaux noires du monde. Son bassin, qui s’étend sur une superficie d’environ 750 000 km2, représente 7 % de la surface totale du bassin de l’Amazone. De la Colombie préandine à son embouchure, il s’étire sur près de 1 700 km, ce qui en fait le principal tributaire de l’Amazone.
Il concentre une population de 97 000 habitants, répartis entre les municipalités de São Gabriel da Cachoeira dans le Haut Rio Negro, et les municipalités de Santa Isabel do Rio Negro et de Barcelos dans le Moyen Rio Negro. Cette population dépend directement du fleuve et de son poisson pour assurer sa subsistance quotidienne. La municipalité de São Gabriel da Cachoeira compte à elle seule 45 000 habitants tandis que plus de 750 communautés autochtones, parlant différentes langues et de cultures très diverses, sont installées entre les fleuves Içana et Uaupés.
Ces populations vivant le long du Rio Negro sont parmi les plus vulnérables du monde, et maintenant soumises aux graves dangers de la pandémie de Covid-19. Entre mai et juin, le nombre de personnes infectées a été multiplié par 5 ; le nombre de décès a doublé, selon les données recueillies par l’APIB (Articulation des peuples autochtones du Brésil). Marivelton Barroso, président de la FOIRN (Fédération des organisations indigènes du Rio Negro), a déclaré que la grande difficulté est de préserver la santé des anciens dans les communautés : « Ils sont parmi nous une bibliothèque vivante. Le docteur et le maître d’école, c’est traditionnellement l’Ancien du village ». Dans la région, le virus a déjà emporté de nombreux anciens, artistes et responsables, et avec eux tout leur savoir.
Un système de santé effondré et l’absence d’équipement de soins intensifs dans la région aggravent encore plus la vulnérabilitédes populations autochtones. À la date du 12 juillet, São Gabriel da Cachoeira comptait 2 982 cas confirmés, 192 sous observation et 47 décès enregistrés. Pour faire face à la menace et se préparer, les gens se sont eux-mêmes organisés en réseaux avec les associations communautaires, les institutions publiques et les organisations non gouvernementales.
L’une des associations communautaires les plus actives est l’ACIMRN (Association des communautés indigènes du Moyen Rio Negro). Fondée en 1994, elle s’est donné pour mission de défendre les droits collectifs de ces populations tels qu’ils sont garantis par la Constitution fédérale de 1998, d’encourager la préservation du patrimoine culturel, la revitalisation de la médecine traditionnelle, et aussi de promouvoir le développement durable au sein des communautés autochtones dans le sens de l’autonomie et de l’autodétermination.
Sandra Gomes, qui préside l’ACIMRN, nous a parlé des grandes difficultés de ces gens du Rio Negro. C’est une Indienne Baré, enseignante et ancienne conseillère municipale. Elle milite dans le mouvement indigéniste de la région depuis quatorze années. En mars 2019, elle a participé au Séminaire sur les pêches indigènes organisé à Manaos, la capitale de l’Amazonas, par OPAN (OperaçãoAmazôniaNativa) avec le soutien de l’ICSF (Collectif international d’appui à la pêche artisanale).
Elle a décrit en détail l’impact de la pandémie et les actions engagées par la société civile et d’autres organisations. « Ici dans notre municipalité, le Covid-19 n’a pas tardé à arriver. Maintenant (fin juillet 2020), la pandémie atteint un pic. En seulement un mois, il y a eu une augmentation incroyable, en ville et dans les campagnes ».
Concernant la situation alimentaire à Santa Isabel do Rio Negro, Sandra ajoute : « En ville, il n’y a pas eu un manque de poisson ou de denrées alimentaires en général. À cause de la paralysie des activités, les familles sont retournées chez elles à la campagne, vers les fermes familiales et les pratiques traditionnelles. La ville est plutôt vide. Les pêcheurs de la ville et des communautés ont pris beaucoup de poisson pendant la saison sèche, entre février et juin, lorsque le niveau de l’eau baisse. Il y avait donc du stock ! En outre, pratiquement toutes les communautés indigènes reçoivent une aide alimentaire de base venant de la FOIRN, et distribuée par nous à l’ACIMRN ».
Les gens ont reçu deux masques pour se protéger ; les communautés ont reçu du matériel et des posters pour être sensibilisées aux problèmes. L’ISA (Institut socio-environnemental) a préparé en différentes langues indigènes des brochures à distribuer le long du Rio Negro, avec des directives pour prévenir la contagion et reconnaître les symptômes. Ici nous avons diffusé cette documentation dans la communauté de Roçado, en portugais, nheengatu et nadeb ».
Pour ce qui est de la réponse de la société civile, Sandra dit : « Via son projet Wings of Emergency, Greenpeace a fait venir par avion du matériel de protection et des kits de test rapide. La UniãoAmazônia Viva a réussi à envoyer aux gens une certaine quantité de denrées indispensables. En général, cette aide est financée par le groupe d’institutions qui soutenait déjà les actions de la FOIRN : le gouvernement, la FUNAI, l’ambassade de Norvège, la Fondation Rainforest et l’ISA. Nous avons maintenant de nouveaux partenaires comme Greenpeace et Nia Tero. L’ACIMRN s’est démenée pour faire partie du comité de lutte contre le Covid-19, car le Secrétariat à la santé de la municipalité n’acceptait pas d’autres institutions au début. Avec bien des efforts et de la persévérance, nous avons finalement réussi. Cette participation à la politique municipale est bien utile pour obtenir la meilleure assistance possible pour les communautés.
Autre sujet d’inquiétude, les effets fâcheux de la pandémie sur les moyens de subsistance locaux. L’ACIMRN représente 29 communautés indigènes installées sur les rives et les îles du Rio Negro et ses affluents, et également les populations autochtones résidant en zones urbaines. Elle constitue un pont pour les activités de la FOIRN et celles de la COIAB (Coordination des organisations autochtones de l’Amazonie brésilienne). Parmi les projets innovants lancés dans cette partie de la région, le long du fleuve Marié (tributaire du Moyen Rio Negro), il y en a un qui ressort particulièrement. Il s’agit d’une expérience communautaire de pêche de loisir. Après des années de pression et d’exploitation commises par des sociétés qui amenaient des groupes de touristes pêcher le peacockbass (Chiclatemensis), le mouvement indigène, qui bénéficiait de l’appui de la FUNAI (Fondation nationale de l’Indien) et de l’ONG Instituto Socioambiental, parvenait à garantir des contrats visant à réglementer l’activité, à faire respecter l’environnement et les populations traditionnelles.
Sandra a ensuite parlé des difficultés de maintenir les moyens de subsistance locaux liés à la pêche de loisir. « Notre saison commence au milieu du mois de septembre et se termine à la mi-février. Mais nous nous inquiétons pour la saison suivante parce que la FUNAI a suspendu les lettres d’accord pour une entrée légale des sociétés concernées. La semaine prochaine, nous aurons une réunion avec des hommes d’affaires pour élaborer un plan d’urgence. Je pense qu’on trouvera ensemble le moyen de sauvegarder le projet. Le plus gros problème, c’est d’assurer les salaires des gardes sur le territoire, car l’argent pour cela provient justement des contrats touristiques ».
Nous avons alors demandé à Sandra de nous parler des remèdes indigènes pour renforcer l’immunité contre le virus. « Quand les gens ont entendu parler du Covid-19, ils ont pensé qu’il s’agissait d’une grippe compliquée. Beaucoup ont donc commencé à boire une tisane. faite maison ou en bouteille. C’est un mélange de gingembre, de citron et d’ail. Les concoctions les plus utilisées sont en bouteille : vous prenez une bouteille et vous y mettez un peu d’écorce de caranapaúba(Aspidosperma nitidum), d’umiri (Humiriabalsamifera), de saracuramirá (Ampelozizyphusamazonicus). Laisser reposer toute la nuit. Dans la communauté de Roçado, ils utilisent aussi l’écorce de tauari (Couratari tauari). Ce sont toutes des plantes très amères, et il doit y avoir de la chimie là-dedans car elles donnent de la vigueur au corps ».
Enfin, nous lui demandons d’évoquer les plans àvenir pour renforcer la durabilitésociale, environnementale et productive des communautésautochtones. « Nos principales activités visant à renforcer la durabilité sociale et environnementale dans la région portent sur des projets associés au tourisme. Cela peut être la pêche de loisir dans les fleuves Marié et Jurubaxi ou du tourisme communautaire dans les montagnes de Guerras. Nous estimons que c’est là une bonne façon de mobiliser les gens au sein de leur communauté, de générer des revenus et de protéger le territoire. D’ailleurs l’an dernier, nous (de FOIRN et d’ACIMRN), et avec l’appui d’ISA et de l’Ong GARUPA, avons été honorés par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement) pour des projets de tourisme indigène innovants. L’argent du prix sera investi dans l’infrastructure. Et maintenant les hommes d’affaires qui travaillent avec nous sont aussi nos partenaires ».
Sandra est pleine de force et d’optimisme quant à l’avenir. « En général, avec cette pandémie, nous avons appris à nous unir davantage. Notre État, nos municipalités et le gouvernement fédéral ne se sont guère préoccupés des peuples indigènes. Mais nous n’avons cessé d’intervenir auprès d’eux autant que nécessaire. Nous avons appris, plus que jamais, le sens de l’ouverture ; nous avons appris que nous sommes plus forts ensemble ; nous avons appris que seuls ceux qui vivent dans la forêt savent ce que signifie s’occuper de soi-même et des autres ; nous avons appris à ne pas se laisser intimider par les critiques et les abandons.
Note : Les auteurs remercient Sandra Gomes qui s’est exprimée par téléconférence dans des conditions techniques bien difficiles
Pêcheurindigène sur le Rio Negro, tributaire de l’Amazone. Nos principalesactivitésvisant à renforcer la durabilitésociale et environnementale dans la région portent sur des projetsassociés au tourisme.
Bassin du Haut et Moyen Rio Negro (visuelétabli par les auteures)
Nous avonsappris, plus que jamais, le sens de l’ouverture ; nous avonsappris que nous sommes plus forts ensemble.