ASIE / INDONÉSIE
Leurterritoire se rétrécit
D’autre sutilisations de l’espace apparaissent et déstabilisent les moyens de subsistance des récolteuses de crabes à Merauke, Papouasie, Indonésie
Ria Fitriana (rfitriana@gmail.com), consultanteindépendante, Coastal and Marine Resource Management, Jakarta, Indonésie, et Maria Kurupat (mariakurupat68@gmail.com), militante pour l’autonomisation des femmes, Merauke, Papouasie, Indonésie
Au fil des ans, la récolte de crabes dans la mangrove et les forêts humides constituait une importante source de revenus pour les femmes des communautés autochtones Asmat et Mappi dans la province indonésienne de Papouasie (Papu). Elles prélèvent des crabes sur les zones côtières du fleuve Maro qui est le principal cours d’eau du district de Merauke, au sud de la Papouasie, dans le territoire du peuple Marind. Les Marind forment un groupe majoritaire qui revendique traditionnellement la propriété des terres à Merauke, y compris les berges du fleuve Maro. D’autres groupes ethniques (Bovendigul, Mappi, Asmat) vivent aussi dans la région et ont des droits ha anim pour assure
ASIE / INDONÉSIE
Leurterritoire se rétrécit
D’autre sutilisations de l’espace apparaissent et déstabilisent les moyens de subsistance des récolteuses de crabes à Merauke, Papouasie, Indonésie
Ria Fitriana (rfitriana@gmail.com), consultanteindépendante, Coastal and Marine Resource Management, Jakarta, Indonésie, et Maria Kurupat (mariakurupat68@gmail.com), militante pour l’autonomisation des femmes, Merauke, Papouasie, Indonésie
Au fil des ans, la récolte de crabes dans la mangrove et les forêts humides constituait une importante source de revenus pour les femmes des communautés autochtones Asmat et Mappi dans la province indonésienne de Papouasie (Papu). Elles prélèvent des crabes sur les zones côtières du fleuve Maro qui est le principal cours d’eau du district de Merauke, au sud de la Papouasie, dans le territoire du peuple Marind. Les Marind forment un groupe majoritaire qui revendique traditionnellement la propriété des terres à Merauke, y compris les berges du fleuve Maro. D’autres groupes ethniques (Bovendigul, Mappi, Asmat) vivent aussi dans la région et ont des droits ha anim pour assurer leur subsistance. Les droits ha anim découlent d’un accord collectif entre certaines communautés indigènes, qui autorise l’accès à des ressources de la mangrove et des forêts humides le long du fleuve : la chasse, le prélèvement de nourriture et de plantes médicinales, de fibres et autres ingrédients pour le tissage de sacs traditionnels (noken). Les gens venus d’ailleurs et même d’autres communautés ethniques (comme les pêcheurs d’ascendance sulawesi, ou Papous du Nord, vivant à Merauke) doivent obtenir l’accord explicite des possesseurs traditionnels du territoire, et payer en plus une somme convenue de part et d’autre pour faire usage des ressources.
Les crabes de vase sont récoltés dans une bande de 10 km le long de la mangrove et des rives du fleuve Maro. Les Asmat et les Mappi ont leur propre territoire pour cela. Il y a plusieurs façons d’atteindre les habitats. Pour les femmes Asmat, il faut deux ou trois heures à pied pour y parvenir. Pour les femmes de la communauté Mappi, cela peut prendre de quatre à cinq heures. L’autre possibilité c’est de louer une camionnette ou un bateau, ce qui coûte environ 15,50 dollars par voyage.
La recherche des crabes se fait de jour ; mais parfois il faut passer la nuit dans la forêt, notamment quand les marées ne sont pas favorables. On repère d’abord dans la vase les trous qui indiquent le terrier du crabe. À l’aide d’un crochet de fer, on fait ensuite sortir le crustacé, qui est nettoyé avec l’eau du fleuve. On le met alors dans des bouts de stipe de bananiers ficelés avec des liens prélevés sur des arbres. Les crabes sont généralement plus grands et plus nombreux durant la saison des pluies et les marées hautes ; mais leur habitat est alors plus difficile d’accès. Rassemblée dans un sac, la récolte est acheminée aux commerçants de la ville de Merauke ou vendue directement à des clients le long de la route.
La valeur des prises dépend d’un certain nombre de facteurs : la taille du crabe, la présence ou absence de pinces, s’il est vivant ou mort. La petite et moyenne taille se vend à environ 1,2 dollar le kilo ; les grandes tailles valent entre 2,30 et 3,80 dollars l’unité (3,80 dollars avec les pinces intactes, 2,30 si le crabe est abimé). Dans une récolte, il y a habituellement beaucoup de crabes avec des pinces abimées, et des petits sujets ou des morts. Les crabes ficelés dans les bouts de bananiers peuvent être maintenus à vie pendant trois jours hors de l’eau, les femmes sachant améliorer la valeur de leur pêche grâce à leur savoir-faire traditionnel. La recette moyenne d’une expédition de deux à trois jours se situait entre 23 et 30 dollars.
Cet argent sert à payer les frais de nourriture et de transport. On achète ordinairement du riz, des œufs, du sucre, du café, de l’huile de friture, des noix de bétel, de l’eau potable. Les seules dépenses alimentaires représentent de 4 à 7 dollars par jour. Quand il n’y a pas de rentrées d’argent, les récolteuses de crabes empruntent dans des kiosks près de chez elles et remboursent plus tard.
Malheureusement, les usages fonciers ont évolué, privant ces communautés de leurs principaux moyens de subsistance. La zone de récolte des crabes s’est rétrécie ou s’est éloignée, ce qui accroît la dépense. Entre 1990 et 2000, puis 2010, les espaces couverts de mangrove primaire et de forêt humide autour de Merauke ont constamment diminué.
La vitesse de transformation de ces terres en plantations et pour le développement urbain est une réelle menace pour les mangroves. C’était des puits à carbone ; elles deviennent productrices de carbone. Cette évolution génère des problèmes pour la population mondiale et la planète en général. Les femmes qui pratiquent cette pêche disent que leurs lieux de travail étaient auparavant assez proches de chez elles. Maintenant, le trajet est long et méandreux, car les nouveaux propriétaires leur interdisent souvent de passer.
Une étude de délimitation participative a fait apparaitre qu’au fil du temps une vingtaine d’hectares d’espaces propices à la récolte de crabes sont devenus des zones portuaires et de mouillage de bateaux privées. Cette « nouvelle zone » estévidemmentinterdite d’accès ; et les mangroves disparaissaient au nom du développement, et tant pis pour la vie de certains. Cette forme de développement n’a que faire de la sécurité alimentaire et de la pauvreté dans les communautés en voie de marginalisation.
En Papouasie, la sécurité alimentaire et la nutrition sont une préoccupation majeure. Toute perte dans ce domaine affaiblira encore les capacités des communautés à faire face. La situation pour les récolteuses de crabes se complique parce qu’elles doivent utiliser des terres communautaires sans aucun contrôle sur les ressources dont elles ont besoin.
La sécurité alimentaire des Asmat et des Mappi repose sur l’exploitation de ressources communautaires, dont on ne fait aucun cas alors qu’il faudrait les protéger pour assurer le bien-être des populations concernées. Dans les évolutions foncières en cours, il n’est pas question de reconnaissance de droits d’usage, et les femmes n’ont pas leur mot à dire dans les débats sur l’utilisation des ressources.
Les transferts de propriété portant sur des terres soumises au droit foncier coutumier reconnaissent les revendications de propriété traditionnelle. Cela devient problématique dans le cas de la Papouasie à cause de la variété des droits fonciers qui sont un mélange de propriété et de droits d’usage. Le propriétaire d’un terrain peut ne pas autoriser l’utilisation des ressources présentes, même si les groupes ethniques locaux possèdent un droit d’usage traditionnel. En effet, on ne prête aucune attention au maintien des moyens de subsistance de leurs détenteurs. Nous suggérons donc d’envisager divers droits compensatoires au cours de la période de transfert de ce patrimoine foncier.
Lorsqu’il y a des changements dans l’utilisation des terres, il est impératif de reconnaître les droits d’usage pour protéger les moyens d’existence de ceux qui y bénéficient d’un droit d’accès à certaines ressources. Cela ne signifie pas qu’une mutation foncière deviendrait plus compliquée. Pour notre part, nous suggérons qu’une indemnisation appropriée soit accordée aux femmes concernées au vu des pertes encourues du fait du changement de destination du foncier. Cette indemnisation ne devrait pas se faire sous forme d’argent comptant, mais plutôt via des renforcements de capacité et de nouveaux moyens d’existence. Il conviendra d’élargir la gamme d’activités disponibles pour les récolteuses de crabe afin de diversifier leur source de revenus. Cette diversification permettrait de les rendre plus solides face aux incertitudes. On pourrait envisager des activités totalement nouvelles, ou une valorisation de pratiques actuelles, comme l’engraissement des petits crabes. C’est une façon d’obtenir que le débat sur ces mutations de propriété tiendra bien compte des répercussions possibles sur le quotidien des gens ordinaires et la sécurité alimentaire des familles.
En outre, les femmes participent rarement aux discussions concernant les ressources en Papouasie. Dans la tradition locale, la femme est considérée comme une personne extérieure à la famille puisqu’elle suivra un mari après le mariage. Les femmes accèdent à des ressources par héritage familial, comme les hommes. Après le mariage, ce sont les normes de la communauté du mari qui s’imposent. Les rôles échus aux femmes se situent dans la sphère domestique : s’occuper de la famille, élever les enfants, assurer la sécurité alimentaire du ménage. La plupart de ces tâches se déroulent sur les espaces communautaires. Ces occupations sont évidemment importantes pour la famille, mais elles ne sont pas valorisées. Quand il s’agit de transfert de droits et de restrictions concernant l’accès à certains espaces, les femmes n’ont pas voix au chapitre, particulièrement dans les institutions coutumières. Les représentants au sein du conseil coutumier, le chef d’une institution traditionnelle sont des hommes puisque les hommes sont les chefs de famille. La position de la femme dépend du statut de son mari (comme épouse du chef coutumier, par exemple), qu’elle soutient dans les affaires du ménage en apportant ce qui est nécessaire. Les femmes n’ont pas de place officielle dans les instances coutumières.
Il importe donc de faire entrer les voix des femmes dans les discussions et les processus décisionnels portant sur l’utilisation des ressources et l’accès à toutes les structures coutumières.
Femme récoltant des crabes dans la mangrove à Merauke, Indonésie. La recherche des crabes se fait de jour ;maisparfois, il faut passer la nuit dans la forêt.
Les crabesnettoyés et ficeléssont mis dans un sac et vendus à des commerçants de Merauke ouproposés à des acheteursencours de route. La recettemoyenneest de 23 à 30 dollars pour deux ou trois jours.
Il importedonc de faire entrer les voix des femmes dans les discussions et les processusdécisionnelsportant sur l’utilisation des ressources et l’accès à toutes les structures coutumières.