ASIE / INDE
Cartographie des marchés à Mumbai
En participant à la cartographie des marchés de leur ville, les vendeuses de poisson de Mumbai auront davantage leur mot à dire dans son développement
Shuddhawati S Peke (shuddhawati@gmail.com), Chargée de programme à l’ICSF
Sur la côte occidentale de l’Inde, dans le Grand Mumbai de 12,5 millions d’habitants, il y a la branche féminine du Maharashtra Macchimar Kruti Samiti (MMKS), qui est un syndicat de pêcheurs. Cette branche milite pour défendre les intérêts des poissonnières et a pris récemment une initiative importante qui devrait leur permettre d’avoir davantage leur mot à dire dans le développement de l’agglomération en faisant accepter par la MCGM (Municipalité du Grand Mumbai) un exercice conjoint de cartographie des marchés au poisson de la ville.
Mumbai compte 60 marchés au poisson municipaux et un nombre indéterminé de marchés non officiels (marchés de rue, marchés appartenant à des personnes privées). Et dans les koliwadas (villages de pêcheurs en milieu urbain) de cette agglomération fonctionnent également des si
ASIE / INDE
Cartographie des marchés à Mumbai
En participant à la cartographie des marchés de leur ville, les vendeuses de poisson de Mumbai auront davantage leur mot à dire dans son développement
Shuddhawati S Peke (shuddhawati@gmail.com), Chargée de programme à l’ICSF
Sur la côte occidentale de l’Inde, dans le Grand Mumbai de 12,5 millions d’habitants, il y a la branche féminine du Maharashtra Macchimar Kruti Samiti (MMKS), qui est un syndicat de pêcheurs. Cette branche milite pour défendre les intérêts des poissonnières et a pris récemment une initiative importante qui devrait leur permettre d’avoir davantage leur mot à dire dans le développement de l’agglomération en faisant accepter par la MCGM (Municipalité du Grand Mumbai) un exercice conjoint de cartographie des marchés au poisson de la ville.
Mumbai compte 60 marchés au poisson municipaux et un nombre indéterminé de marchés non officiels (marchés de rue, marchés appartenant à des personnes privées). Et dans les koliwadas (villages de pêcheurs en milieu urbain) de cette agglomération fonctionnent également des sites de débarquement, des criées et des marchés de détail. Le développement de ces marchés, des villages de pêcheurs urbains, des infrastructures pour le transport et autres choses est du ressort de la MCGM. Le Plan de développement pour la période 2014-2034 est en cours d’élaboration.
À cet égard, la MCGM, après avoir préparé un schéma d’occupation des sols, a lancé des consultations publiques centrées sur douze thèmes, notamment utilisation des terrains, transports, durabilité environnementale, logements dans le secteur structuré, éducation, problématique de genre. Cela s’est fait avec la collaboration d’ONG locales afin d’obtenir une bonne participation de la population. La branche féminine du MMKS était impliquée, et a donc fait entrer dans la discussion les problèmes des vendeuses de poisson opérant dans les marchés et les sites de débarquement, qui ont tout particulièrement besoin de terrains et d’installations pour leurs activités.
Dans les données de la Municipalité, jusqu’à cet exercice, il n’y avait rien concernant les marché dits informels. Pas étonnant que, jusqu’à une date récente, les pouvoirs publics n’aient pris aucune initiative pour fournir des installations indispensables aux poissonnières du secteur non structuré. Maintenant cependant la Politique nationale relative aux vendeurs de rue (2009) rend obligatoire la protection de ces gens via l’établissement de comités ad hoc, l’immatriculation des colporteurs et la délivrance de cartes d’identité, plus la délimitation de zones de marché et colportage. À la demande de la MCGM, la branche féminine du MMKS, en coordination donc avec les services municipaux et les poissonnières locales, a dressé la carte de tous les marchés au poisson officiels et non structurés de l’agglomération, cela en un mois.
Il y a 30 marchés officiels dans la ville de Mumbai, 22 dans les banlieues ouest, 12 seulement dans les banlieues est. Les zones suburbaines sont couvertes essentiellement par des marchés informels non structurés, semi-structurés ou pleinement structurés situés ou construits sur des terrains publics avec des fonds discrétionnaires à la disposition de représentants du gouvernement local.
Cette enquête a également fait ressortir un certain nombre de problèmes de développement. Des activités commerciales (parmi lesquelles grandes entreprises) ont chassé des marchés au poisson anciens. Dans l’affaire du marché municipal de Babulnath, une grosse société a reçu l’autorisation de construire un centre commercial qui a obligé 20 poissonnières à déguerpir. Au marché au poisson privé de Habib, le propriétaire a chassé systématiquement les poissonnières en coupant l’eau et l’électricité ; et depuis quinze ans maintenant vivent là des migrants dans des conditions de logement précaires. Au marché privé de Byculla Gujari, au marché privé de Chira Bazaar, les propriétaires ont arrêté de fournir les équipements de base et attendent que les poissonnières partent pour pouvoir céder le terrain à des promoteurs.
Les marchés municipaux disposent de structures normalisées et prélèvent des taxes auprès des vendeurs sur les lieux. Mais les poissonneries sont souvent repoussées dans un coin, avec des conditions d’inconfort et de manque d’hygiène. Les vendeuses ne sont pas en sécurité, ni pour leur poisson, ni pour leur personne.
À Mumbai, trois voies se présentent au développement d’une zone de marché urbain : financement gouvernemental, partenariat public-privé (PPP), développement autonome. Les projets entièrement financés par des fonds publics sont extrêmement rares. Les organismes gouvernementaux préfèrent réaliser des projets haut de gamme. La formule PPP est censée être inclusive, mais les constructeurs et les promoteurs tentent de récupérer les meilleurs emplacements pour leurs activités commerciales. Il arrive fréquemment que des complexes résidentiels soient construits par le promoteur privé sur un espace prévu pour un marché au poisson dans la zone de développement, ce qui peut générer des conflits entre résidents et clients du marché. Ceux qui militent auprès de ces femmes préconisent donc la voie du développement autonome, qui offre le maximum d’avantages aux vendeuses et leur laisse la maîtrise du terrain et de son utilisation. Avec cette solution, elles ne sont pas perpétuellement confrontées à la menace de projets commerciaux ou semi-commerciaux qui, dans un PPP, coexistent avec leurs activités et graduellement font pression sur les poissonnières pour qu’elles s’en aillent sous divers prétextes (nuisances publiques, manque d’hygiène).
Les marchés au poisson officiels et, pour la première fois, les marchés non structurés ont donc été bien documentés par l’Administration municipale. Des données photographiques ont été constituées et serviront de références et de preuves si les poissonnières devront encore se battre à l’avenir contre des projets de développement. L’étape suivante de cet exercice est la diffusion d’un questionnaire de la Direction des marchés de la MCGM afin de collecter des informations plus détaillées. Le Commissaire de la Municipalité a promis d’organiser une réunion, basé sur le rapport de représentantes des poissonnières, afin de trouver des solutions à chacun des problèmes de la profession.
Au cours des deux prochaines décennies, la ville prévoit de grands projets de développement et d’expansion qui vont transformer le paysage urbain. Les établissements dits informels auront de plus en plus de mal à préserver les droits d’usage et l’accès aux services de première nécessité.