Présentation d’ouvrage
NAGER EN ROND : L’AQUACULTURE ET LA FIN DES MERS SAUVAGES, DE PAUL MOLYNEAUX, THUNDERS MOUTH PRESS, NEW YORK, 2007
Des choses leur échappent
Cet ouvrage décrit les réalités complexes de la production de poisson et de crevette d’élevage à travers le monde
Cette présentation a été écrite par Nalini Nayak (nalininayak@asianetindia.com), membre de l’ICSF
Dans ce livre qui vient de sortir, Paul Molynaux analyse la crise de la production de poisson qui dure depuis vingt ou trente ans tandis que des scientifiques et des hommes d’affaires essaient de nous convaincre que l’aquaculture pourrait compenser l’amenuisement de la ressource
L’auteur a d’abord été marin-pêcheur puis, lorsque les pêcheries se sont effondrées, il s’est reconverti comme journaliste et écrivain. Il dénonce ici, dans un style attachant, vivant et fluide, l’évolution actuelle des choses : un développement non durable, non éthique et, au bout du chemin, la fin du poisson sauvage.
Il nous fait voyager dans les organismes maritimes, dans les populations de pêcheurs, chez les aquaculteurs, dans les bureaux de dirigeants de sociétés qui à divers niveaux interviennent dans le secteur aquacole.
A sa suite, le lecteur découvre le vécu des...
Présentation d’ouvrage
NAGER EN ROND : L’AQUACULTURE ET LA FIN DES MERS SAUVAGES, DE PAUL MOLYNEAUX, THUNDERS MOUTH PRESS, NEW YORK, 2007
Des choses leur échappent
Cet ouvrage décrit les réalités complexes de la production de poisson et de crevette d’élevage à travers le monde
Cette présentation a été écrite par Nalini Nayak (nalininayak@asianetindia.com), membre de l’ICSF
Dans ce livre qui vient de sortir, Paul Molynaux analyse la crise de la production de poisson qui dure depuis vingt ou trente ans tandis que des scientifiques et des hommes d’affaires essaient de nous convaincre que l’aquaculture pourrait compenser l’amenuisement de la ressource
L’auteur a d’abord été marin-pêcheur puis, lorsque les pêcheries se sont effondrées, il s’est reconverti comme journaliste et écrivain. Il dénonce ici, dans un style attachant, vivant et fluide, l’évolution actuelle des choses : un développement non durable, non éthique et, au bout du chemin, la fin du poisson sauvage.
Il nous fait voyager dans les organismes maritimes, dans les populations de pêcheurs, chez les aquaculteurs, dans les bureaux de dirigeants de sociétés qui à divers niveaux interviennent dans le secteur aquacole.
A sa suite, le lecteur découvre le vécu des gens dans leur environnement habituel, en allant du Maine et de la côte est du Canada à Sonora et Sinaloa, côté Pacifique du Mexique. Et l’on est témoin de la lutte entre les pêcheurs côtiers et les producteurs de saumon d’élevage, tout là-haut, entre ceux qui pratiquent une pêche de subsistance et les établissements crevetticoles, tout là-bas.
Avec son regard lucide et dans le style alerte d’un journal de voyage, Molyneaux passe donc chez les pêcheurs, chez l’aquaculteur, parle de mesures gouvernementales, des promesses des scientifiques et de leurs errements, des politiques imposées par les dirigeants et les spécialistes d’institutions internationales, du flair des grosses sociétés. Lui-même ne juge pas mais il aide certainement le lecteur à prendre conscience de certains dogmes, notamment que la production doit obligatoirement suivre l’accroissement de la demande et se plier aux exigences des consommateurs, dont l’unique critère est de trouver des produits de la mer à bon marché.
Avec Molyneaux, le lecteur jette un nouveau regard sur l’aquaculture, sous l’angle de l’économie écologique, laquelle reconnaît des limites à la croissance et dénonce les biotechnologies qui prétendraient supprimer toute limite à la production. Il juxtapose ce point de vue avec la lutte des petits pêcheurs aux prises avec l’amenuisement des stocks et essaie de percevoir l’avenir pour le poisson et la crevette.
Parlant des cercles officiels, Molyneaux met en évidence l’impulsion donnée par l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) qui, à Kyoto en 1976, affirmait que l’aquaculture allait être la solution d’avenir en matière de production. Il montre comment cette politique a été mise en oeuvre par les spécialistes de la maison malgré toutes les maladies, les dégâts dans l’environnement et la marginalisation des populations que cela entraîne.
Le commerce international
Les gouvernements des États-Unis, du Mexique, de Norvège ont la même attitude. Molyneaux dit qu’ils se fondent sur la théorie de l’avantage comparatif, à savoir que les fermes aquacoles pourraient nourrir plus de gens que la pêche classique, ce qui serait bon pour la sécurité alimentaire. La situation réelle des populations côtières prouve clairement le contraire. En plus, le commerce international des produits issus de l’aquaculture a provoqué une dissémination d’éléments pathogènes dans les élevages de crevettes à travers le monde et parfois une contamination des stocks sauvages. Par ailleurs, on assiste à une dépréciation accélérée du capital naturel et du capital social du fait que la technologie prétend pouvoir se substituer à tout.
Molyneaux n’oublie pas d’attirer l’attention sur les réactions de rejet de tous les secteurs de la pêche vis-à-vis des écologistes, des grosses Ong et de leur appel au principe de précaution, ce qui donne lieu à des débats sans fin et sans suite concrète. Il apporte cependant assez de preuves pour soutenir leurs points de vue. Ainsi, en octobre 2001, l’épisode d’anémie infectieuse qui a débuté chez Atlantique Salmon (propriété d’intérêts norvégiens) dans l’Etat du Maine, États-Unis, s’est étendu dans la baie de Cobscook et a provoqué la destruction ou l’enlèvement prématuré de 2,6 millions de saumons d’élevage.
La production du Maine est passée de 36 millions de livres en 2000 à 15 millions de livres en 2002. En 2005, un nouveau régime de gestion a réduit la production à un peu plus de 11 millions de livres. L’épizootie virale a mis à genoux la filière qui rapportait 60 millions de dollars/an, et les trois grands sites salmonicoles de Cobscook ont licencié environ 400 de leurs 1 200 employés cette année-là. C’est seulement à un plan de sauvetage de 16 millions de dollars que ces gros producteurs sont restés dans le Maine.
Les mouvements massifs de l’eau dans la baie, qui en faisaient un site particulièrement intéressant pour l’élevage du saumon, propageaient aussi les éléments pathogènes. Les mesures de suivi sanitaire pour assurer la biosécurité (lavage des barges d’alimentation et autres équipements...) coûtaient aux salmoniculteurs du Nouveau-Brunswick environ 40 000 dollars par site et par an, en plus des pertes provoquées par les maladies.
Comme pour le saumon, les meilleurs spécialistes de la filière crevettière cherchaient une solution pour qu’elle puisse vivre avec la maladie sans l’éliminer vraiment. En 2001, les principaux virus de la crevette en cause avaient provoqué des pertes évaluées à au moins 10 milliards de dollars, sans compter la destruction de certains stocks de saumon sauvage dans le nord du Golfe de Californie. Molyneaux cite d’autres exemples de ce genre qui mettent en cause des produits vétérinaires et des granulés contaminés.
Molyneaux fait remarquer que la plupart des institutions de recherche sont très liées à la filière aquacole. On a consacré très peu d’argent pour l’évaluation des risques et pour le suivi des stocks sauvages, ce qui pourrait se retourner contre ce secteur économique quand il aura besoin de nouveaux reproducteurs, de crevettes non contaminées par exemple. Des travaux scientifiques (David Carpenter...) ont fait apparaître que, pour 13 des 14 contaminants organochlorés analysés, les concentrations étaient très nettement supérieures dans le saumon d’élevage par rapport au saumon sauvage.
Mais l’optimisme technologique pousse les institutions à consacrer des millions de dollars à la recherche de solutions pour des problèmes affectant les enclos et les bassins, cela par des moyens technologiques, le contrôle des maladies et par ce que certains appellent le « remède géographique ».
Élevages au large
Parlant de la tendance actuelle qui préconise de situer les élevages plus au large, Molyneaux évoque les systèmes de location d’espaces océaniques qui ont incité à promulguer la Loi de 2005 sur l’aquaculture offshore aux États-Unis. Il faudrait donc que la Loi nationale pour la protection de l’environnement s’applique également à la zone économique exclusive (ZEE).
A propos du ratio de conversion alimentaire, Molyneaux apporte des éléments convaincants. La Fondation Suzuki accuse les élevages de saumon de prélever dans l’océan plus de protéines de poisson qu’ils n’en produisent et de détruire l’équilibre écologique indispensable à la vie des stocks sauvages et la survie des communautés. Et Peter Tyedmers, de l’Université Dalhousie au Canada, démontre que les élevages de poissons peuvent, dans le pire des cas, consommer trois fois plus de ressources que ne le fait la pêche commerciale pour une tonne de poisson produite. Selon Stuart Barlow et Ian Pike, à l’horizon 2010, l’industrie aquacole prélèvera 79 pour cent des disponibilités en huiles de poisson et 48 pour cent des farines de poisson, à condition que l’offre reste constante entre 6 et 7 millions de tonnes de farines et 1,1 à 1,4 million de tonnes d’huiles par an. Tyedmers note que, même si le ratio de conversion alimentaire dans la production de poisson est meilleur que pour d’autres animaux (poulet, porc...), c’est la qualité de l’aliment consommé qu’il importe de prendre en considération.
Donner des poissons situés en haut de la chaîne trophique pour nourrir du poisson d’élevage, c’est mettre à l’envers la pyramide alimentaire ; et suivant la quantité de poisson utilisée, cela pourrait alourdir de façon exponentielle l’empreinte écologique du poisson d’élevage. Si les élevages de cabillaud et de saumon prennent le large, les élevages de crevette s’installent à terre et, dans des bassins en circuit fermé, tentent de réduire ou supprimer les farines de poisson dans l’alimentation en appliquant en même temps des systèmes de contrôle microbien pour repousser les maladies. Finalement ce n’est pas l’argumentation malthusienne qui accroît la consommation, ce sont des facteurs de marché. Et Molyneaux explique que les changements survenus dans la production et la commercialisation ont modifié le goût des Américains en matière de produits de la mer. Pour des milliers de gens qui n’avaient jamais mangé de saumon sauvage, les produits d’élevage qui débarquaient massivement du Chili, de Norvège ou d’ailleurs avaient fort bon goût. En 2002, cinq sociétés représentaient 40 pour cent de la production mondiale de saumon d’élevage. En 2005, Panfish contrôlait 30 pour cent de la production mondiale de saumon : le champion incontesté de la salmoniculture grâce à une intégration verticale. On ne fait pas la différence entre poisson d’élevage et poisson sauvage ; aucune étiquette n’est imposée pour indiquer les produits chimiques utilisés dans les élevages. Les achats des consommateurs parlent d’eux-mêmes : ils placent les aspects économiques avant les considérations sociales et environnementales.
Le credo d’entreprise
Pour le consommateur, il est plus important d’avoir un poisson bon marché qu’un poisson produit de façon durable. Les producteurs de poisson sauvage ont donc du mal à garder leur place sur le marché. Les nouvelles initiatives fonctionnent seulement si elles sont conformes aux credos définis par les grandes entreprises. Les milieux d’affaires et les gouvernements qui appuient cette nouvelle activité économique croient qu’ils ont la situation bien en main. Ils ont échoué avec la pêche et, en gardant les mêmes idées sur le développement, ils croient qu’ils vont réussir avec l’aquaculture.
Les populations pauvres et les espèces sauvages paient le coût d’opportunité de ces choix car elles sont désormais obligées de survivre comme elles peuvent dans un environnement dégradé où il n’y a plus de place pour une pêche de subsistance.
Au lieu de chercher à résoudre les problèmes de la pêche, les professionnels de ce secteur continuent à dévorer le capital naturel. Molyneaux conclut que le coût des technologies mises en oeuvre (et qui accélèrent le déclin de la ressource) ne tarde pas à annuler leurs avantages.
Ce livre peint un tableau complet des réalités complexes de la production de poisson et de crevette. Malheureusement, ce ne sont pas les décideurs politiques qui iront y chercher leur inspiration. De par leurs modes d’agir et de penser, les administrations sont allergiques à une compréhension globale des systèmes biologiques. La logique du profit règne en maître, alors que ce qui maintient la vie et les moyens d’existence c’est l’interaction des divers systèmes. Les scientifiques considéreront peut-être que cet ouvrage est un peu léger parce que l’auteur ne suit pas strictement les critères universitaires en matière de références bibliographiques. En tout cas, il contient une masse d’informations et de preuves dont les gens ordinaires soucieux de préserver la vie sur la planète feront leur miel.