Décès / GUNNAR ALBUM
Barbu, jovial, engagé
Gunnar Album (1965 – 2014)
Nous avons perdu un être qui transcendait nationalité, classe, sexe et âge dans la défense des petits pêcheurs
John Kurien (kurien.john@gmail.com), Membre fondateur de l’ICSF, se souvient
J’ai su qu’il existait une personne du nom de Gunnar Album au début des années 1990, par l’intermédiaire d’une ardente militante sociale et écologiste norvégienne de l’époque, Bente Asjord, laquelle n’allait pas tarder à épouser Gunnar. Ensemble ils ont fait équipe pour travailler vigoureusement sur le problème de la marginalisation des petits pêcheurs du nord de la Norvège.
Entre 1990 et 2014, Gunnar s’est beaucoup impliqué sur des questions de pêche en Norvège, en Afrique, en Amérique latine, au Sri lanka, en Inde. Partout où il allait, il s’entourait d’amis proches. J’ai eu la chance d’être l’un d’entre eux.
Nous étions en contact dans les derniers mois de sa vie, échangeant des notes sur notre maladie commune, le cancer. Moi j’ai été guéri, lui ne s’en est pas sorti. Que dire lorsqu’une aussi excellente personne, si pleine de vie, si engagée, nous est enlevée par une mort prématurée ?
Gunnar a visité l’Inde après son mariage. Nous...
Décès / GUNNAR ALBUM
Barbu, jovial, engagé
Gunnar Album (1965 – 2014)
Nous avons perdu un être qui transcendait nationalité, classe, sexe et âge dans la défense des petits pêcheurs
John Kurien (kurien.john@gmail.com), Membre fondateur de l’ICSF, se souvient
J’ai su qu’il existait une personne du nom de Gunnar Album au début des années 1990, par l’intermédiaire d’une ardente militante sociale et écologiste norvégienne de l’époque, Bente Asjord, laquelle n’allait pas tarder à épouser Gunnar. Ensemble ils ont fait équipe pour travailler vigoureusement sur le problème de la marginalisation des petits pêcheurs du nord de la Norvège.
Entre 1990 et 2014, Gunnar s’est beaucoup impliqué sur des questions de pêche en Norvège, en Afrique, en Amérique latine, au Sri lanka, en Inde. Partout où il allait, il s’entourait d’amis proches. J’ai eu la chance d’être l’un d’entre eux.
Nous étions en contact dans les derniers mois de sa vie, échangeant des notes sur notre maladie commune, le cancer. Moi j’ai été guéri, lui ne s’en est pas sorti. Que dire lorsqu’une aussi excellente personne, si pleine de vie, si engagée, nous est enlevée par une mort prématurée ?
Gunnar a visité l’Inde après son mariage. Nous sommes devenus de bons amis et avons bientôt constaté que nous partagions de nombreux centres d’intérêt, de nombreuses préoccupations, notamment la recherche d’un plus grand dialogue, d’une approche plus consensuelle entre les divers groupes du secteur de la pêche.
La démarche antagoniste, pensions-nous, avait sans doute ses mérites pour faire mieux apparaître les pêcheurs artisans dans l’économie générale de la pêche. Mais, à un certain point, il fallait aussi chercher des partenaires et trouver un terrain commun pour établir un programme d’action minimal en faveur d’une gestion durable des pêcheries, ce qui serait pour le plus grand bien de tous.
Étant Norvégien, Gunnar prenait grand soin d’étudier en détail les effets réels du Projet indo-norvégien de développement des pêches (INP) qui avait débuté dans l’ancien État de Travancore, devenu depuis le Kerala. J’avais moi-même fait beaucoup de recherches concernant le sujet, l’impact sur l’économie des pêches du Kerala. J’ai partagé mes constatations avec Gunnar.
Comme il s’agissait là du tout premier « projet de développement », il y avait beaucoup à apprendre de ses succès et de ses échecs. Nous avons visité les villages concernés, et étions très étonnés de la diversité des opinions exprimées quant aux résultats de ce projet.
Comme il était très proche des petits pêcheurs de Norvège, Gunnar connaissait fort bien les évolutions qui avaient marqué leur vie collective entre 1930 et 1990. Ils s’étaient opposés au chalutage dans les eaux côtières. Pourtant, c’est le projet indo-norvégien qui a fait entrer cette méthode de capture au Kerala.
Ils s’étaient lancés dans des actions collectives pour s’extraire de l’emprise des négociants qui les exploitaient. Avec l’appui d’un gouvernement travailliste, ils ont obtenu le droit exclusif de la première mise en vente du poisson.
L’instauration en même temps d’une Organisation de vente du poisson les a dotés d’un mécanisme qui leur permet de négocier avec les mareyeurs et de fixer des prix plancher pour leur production chaque saison. Cela a été suivi de réformes législatives, stipulant notamment qu’il faut être soi-même pêcheur embarqué pour pouvoir être propriétaire d’un équipement de pêche. De cette façon, les eaux côtières sont devenues la « propriété collective » de ce groupe de travailleurs actifs ; et on a évité ainsi la surcapitalisation qui conduit toujours à la destruction de la ressource dans les eaux côtières en accès libre.
J’étais un fervent partisan de ces deux réformes institutionnelles des pêches norvégiennes (règlementation, législation et normes). Je pensais sincèrement que c’était la direction à prendre pour que les petits pêcheurs de tous pays puissent, comme leurs collègues norvégiens, maîtriser davantage leurs conditions de vie et assurer la durabilité des ressources halieutiques.
Nous avons alors, Gunnar et moi, décidé de poursuivre cette idée avec les différents groupes d’intérêts du secteur de la pêche au Kerala. Commence alors une initiative moins connue de l’histoire de ces pêcheries, et qui a bien failli réussir.
Initiative novatrice
Gunnar travaillait pour le Fonds norvégien pour la nature (NNV). Il lui a proposé un projet consistant en un programme de formation en gestion des pêches et une visite sur le terrain pour des représentants des divers secteurs des pêches du Kerala.
Ils iraient en Norvège pour se familiariser avec l’histoire et le développement de ces deux réformes institutionnelles (le droit de première vente et la propriété d’équipement de pêche réservée aux pêcheurs embarqués). Le projet serait exécuté conjointement par le Centre d’études pour le développement (CDS) de Trivandrum, Inde, où j’étais enseignant. Il était financé par NORAD (Agence norvégienne de la coopération pour le développement).
En 1997, une délégation du Kerala comprenant un représentant de toutes les « parties prenantes » se rend en Norvège, après un atelier préparatoire de trois jours ouvert par K N Raj, le fondateur du CDS et l’un des plus éminents économistes de l’Inde.
Pour représenter la Norvège, il y avait le directeur général du Ministère des pêches, Johan Williams, et Gunnar Album. Dans le groupe du Kerala, il y avait des représentants des entités suivantes : administration des pêches, parlementaires de divers partis politiques, pêche artisanale, propriétaires de chalutiers, syndicats du secteur de la transformation, scientifiques et chercheurs, organismes de protection sociale, mouvement coopératif. Au Kerala, ces gens n’étaient généralement pas du même côté de la table de négociation car ils défendaient des intérêts divergents.
Cette visite ensemble en Norvège leur a permis de découvrir des terrains communs, des intérêts partagés, d’établir une certaine camaraderie. On a pu ainsi définir un nouveau cadre d’action pour le développement et la gestion des pêches au Kerala.
De retour au pays, le groupe a fait des démarches auprès du gouvernement du Front démocratique de gauche pour la constitution d’une Commission dénommée Aquarian Reforms Committee (ARC) et chargée d’étudier les modalités appropriées d’une application au Kerala des réformes institutionnelles qui avaient permis aux pêcheurs norvégiens d’atteindre un solide niveau de développement socio-économique et culturel.
L’ARC a organisé une série d’auditions publiques à travers le Kerala, en recueillant les points de vue de toutes les parties concernées avant de formuler un avant-projet de législation. Le rapport de l’ARC a fait l’objet d’un ample débat et le Kerala était sur le point d’assister à une révolution dans son secteur des pêches. Mais cela n’allait pas se produire car le gouvernement en place, favorable aux réformes envisagées, était confronté en 2001 à des élections qu’il a perdues.
On se souviendra toujours du rôle tenu par Gunnar dans cette initiative novatrice. Plusieurs de ceux qui étaient dans le groupe ayant fait le voyage vers la Norvège se sont réunis récemment au Kerala pour rendre hommage à ce jeune homme charmant, chaleureux, merveilleux qui nous a été enlevé si prématurément.
Sa préoccupation pour les autres dépassait les clivages de nationalité, de classe, de sexe et d’âge. Tout le monde l’aimait. Avec les gens, il avait une façon de faire bien à lui. Cet homme grand, barbu, jovial, engagé auprès des pêcheurs restera dans les cœurs et les esprits de ceux qui ont eu la chance de le rencontrer.
Je pense qu’il nous a laissé un autre message, important : il est souhaitable que se mêlent étude sérieuse, lutte et dialogue dans les processus engagés en vue d’un avenir sain et durable, d’une gestion des ressources naturelles qui place les populations concernées au centre du cheminement.
Gunnar, nous allons tenter obstinément d’avancer dans ce sens !
Pour plus d’information
http://naturvernforbundet.no/nyheter/gunnar-album-1965-2014-article31832-165.html
Nederlandse Natuurkundige Vereniging (Société néerlandaise de physique)