Analyse / UNCLOS
Il y a loin de la coupe aux lèvres
La Conférence UNCLOS 1960, où l’Inde, le Chili et l’Équateur avaient eu un rôle marquant, n’était pas parvenue à un accord complet
Cet article a été écrit par Kirsten Sellars (kirsten.sellars@anu.edu.au), chercheur invité à l’École Coral Bell des affaires Asie-Pacifique, Université nationale d’Australie
La route conduisant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer en 1982 étaitbordée de conférences avortées. En 1930, une conférence de la Ligue des Nations s’est dispersée sans prendre de décision sur la question des eaux territoriales. En 1958, une conférence des Nations Unies n’a pas pu s’entendre sur la largeur de la mer territoriale et ses limites de pêche. En 1960, une conférence de suivi sur ces questions en suspens échouait.
À cet évènement, un plan conjoint USA-Canada est apparu en premier lieu. Il proposait une mer territoriale universelle de six milles nautiques plus une zone de pêche non exclusive de six milles, avec la suppression progressive sur dix ans des « droits historiques » pour les États pêchant dans les eaux d’un autre État au cours des cinq années précédentes.
Ce plan, soutenu par les puissances maritimes (qui cherchaient à ...
Analyse / UNCLOS
Il y a loin de la coupe aux lèvres
La Conférence UNCLOS 1960, où l’Inde, le Chili et l’Équateur avaient eu un rôle marquant, n’était pas parvenue à un accord complet
Cet article a été écrit par Kirsten Sellars (kirsten.sellars@anu.edu.au), chercheur invité à l’École Coral Bell des affaires Asie-Pacifique, Université nationale d’Australie
La route conduisant à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer en 1982 étaitbordée de conférences avortées. En 1930, une conférence de la Ligue des Nations s’est dispersée sans prendre de décision sur la question des eaux territoriales. En 1958, une conférence des Nations Unies n’a pas pu s’entendre sur la largeur de la mer territoriale et ses limites de pêche. En 1960, une conférence de suivi sur ces questions en suspens échouait.
À cet évènement, un plan conjoint USA-Canada est apparu en premier lieu. Il proposait une mer territoriale universelle de six milles nautiques plus une zone de pêche non exclusive de six milles, avec la suppression progressive sur dix ans des « droits historiques » pour les États pêchant dans les eaux d’un autre État au cours des cinq années précédentes.
Ce plan, soutenu par les puissances maritimes (qui cherchaient à étendre au mieux la portée mondiale de leur flotte militaire, marchande et de pêche en minimisant les prétentions des autres sur les mers territoriales et les zones de pêche), a également obtenu l’appui des pays de l’Europe de l’Ouest, des anciens dominions britanniques, et de modérés ailleurs. Mais allait-il parvenir au deux-tiers des votes ?
À cette époque, les pays de l’Asie-Pacifique jouaient un rôle central dans la campagne des États côtiers pour obtenir un meilleur contrôle sur leurs eaux côtières. Dans cette région, beaucoup de voix mettaient en cause les prétentions universalistes qui s’exprimaient au nom du droit de la mer, les trouvant pas convaincantes. Les ministres indiens allaient jusqu’à dire que cette loi de la mer n’avait rien d’international.
À l’approche de la conférence, le Ministre de la défense, Krishna Menon, déclarait que la revendication de droits de pêche historiques dans les eaux côtières d’autres États par les puissances maritimes perpétuait l’exploitation coloniale. Le Ministre de la justice, Ashoke Sen, et d’autres faisaient observer que les grandes puissances avaient l’habitude de considérer la haute mer comme leur propriété privée, de fermer des pans entiers d’océan lorsque cela les arrangeait. Ils citaient l’exemple des Américains établissant des zones dangereuses dans le Pacifique pour les besoins des essais nucléaires de l’atoll de Bikini, ou en Méditerranée orientale durant la crise entre la Syrie et la Turquie.
Lors de la conférence, les États d’Asie-Pacifique ont suivi une double stratégie en réclamant un contrôle plus étendu sur leurs eaux côtières. La délégation indienne faisait valoir que les pays côtiers devraient avoir le droit de contrôler les mouvements des navires de guerre dans la mer territoriale et la zone contigüe. Les délégations des pays latino-américains bordant les côtes du Pacifique réclamaient la reconnaissance de zones de pêche exclusives et de droits de pêche préférentiels en haute mer. Ensemble, ces campagnes offraient une alternative convaincante face à l’ensemble minimal du plan américano-canadien.
Mer territoriale
Ashoke Sen, qui conduisait la délégation indienne, incitait les délégations occidentales à accepter un amendement exigeant une autorisation pour les navires de guerre dans la mer territoriale et la zone contigüe. Il ajoutait qu’il avait reçu des instructions strictes du Premier Ministre, Jawaharlal Nehru, pour obtenir des concessions sur ce sujet. Les délégués occidentaux ont alors improvisé une contre-proposition suggérant une notification préalable, mais pas d’autorisation préalable pour les navires de guerre.
Le cabinet de Nehru a refusé la chose. Cela préoccupait les Américains ; et, parlant à l’ambassadeur canadien à Washington, un fonctionnaire du Département d’État se demandait s’il n’était pas nécessaire d’exercer « une vigoureuse pression » sur l’Inde. Le Canadien a répondu que les « tactiques musclées » renforceraient sans doute la détermination indienne.
Puis une autre forme de pression a été appliquée. Le Président Dwight Eisenhower et deux premiers ministres (John Diefenbaker et Harold Macmillan) ont fait parvenir des messages personnels à Nehru pour le persuader d’abandonner l’idée de l’autorisation et de soutenir le plan USA-Canada. Macmillan lui disait que l’attitude de l’Inde serait « très importante pour le succès ou l’échec de la conférence ». Un échec entraînerait des actions unilatérales qui « pourraient donner lieu à de dangereuses frictions ». Mais il n’offrait rien de plus que ce qui avait déjà été rejeté par l’Inde, c’est-à -dire une notification préalable et non pas l’autorisation préalable réclamée. Quelques jours plus tard, Nehru a fait parvenir à Macmillan une réponse tout aussi ferme : « Comme vous savez, il y a un conflit d’opinion entre certaines grandes puissances maritimes et les petits pays qui, compte tenu d’expériences passées, sont plutôt inquiets de toute interférence avec leur liberté et leur indépendance. Concernant un sujet en particulier, il y a dans ces pays une émotion forte qui me semble justifiée. Il s’agit de navires de guerre étrangers qui viendraient dans nos eaux côtières sans autorisation préalable. Nous avons beaucoup réfléchi à cette affaire ; et nous estimons que la conduite à suivre serait d’obtenir d’abord une telle autorisation ou permission de l’État côtier concerné. C’est une simple affaire de courtoisie ».
Les partisans du plan avaient joué leur dernière carte et avaient été éconduits sans cérémonie. Pas de terrain d’entente sur le passage des navires de guerre. Si l’Ouest ne cédait pas, la délégation indienne voterait contre le plan USA-Canada. Cela menaçait l’avenir de la conférence.
Droits de pêche
Tandis que l’Inde se dressait contre les Occidentaux sur la question des navires de guerre, d’autres États s’attachaient à grignoter le volet des « droits de pêche historiques » du plan USA-Canada. Pour de nombreux délégués, la présence non réglementée de flottes de pêche lointaine dans leurs eaux du large était inacceptable. Dans l’hémisphère nord, l’affaire des Islandais se heurtant aux chalutiers anglais protégés par la Royal Navy faisait les titres des journaux. Dans le Sud, les États de l’Asie-Pacifique mettaient la pression aussi. Au milieu des années 1950, par exemple, les Péruviens ont saisi des baleiniers d’Onassis et des thoniers américains opérant dans la limite des 200 milles. Les Sud-Coréens ont arrêté et parfois détruit des chalutiers et des ligneurs japonais qui avaient franchi la Ligne Rhee des 190 milles.
À mesure que se déroulait la conférence, l’opposition au plan USA-Canada prenait de l’ampleur, ce qui incita ses partisans à offrir quelques gâteries auxÉtats côtiers préoccupés par la pêche étrangère. Les délégations américaines et canadiennes ont rédigé un amendement à leur propre plan (soumis par le Brésil, Cuba et l’Uruguay), et qui proposait aux États des droits de pêche préférentiels limités en haute mer, soumis à un règlement obligatoire des litiges. Le chef de la délégation américaine, Arthur Dean, offrait à certains pays d’Amérique centrale et du Sud des accords individuels qui annuleraient les revendications américaines concernant des historiques de pêche dans leurs eaux côtières, en échange de votes favorables, ou en tout cas d’abstention. Après ces arrangements, Dean estimait que l’Équateur et le Salvador s’abstiendraient, que l’Argentine, le Guatemala et le Chili voteraient en faveur du plan. Ce serait juste assez pour atteindre la majorité des deux-tiers exigée pour la signature du traité.
Mais il y a loin de la coupe aux lèvres. Pour preuve, dans les dernières heures avant le vote en plénière, les gouvernements chilien et équatorien ont demandé à leurs délégués de voter contre le plan USA-Canada. Puis il s’est produit un autre revirement : l’amendementBrésil-Cuba-Uruguay est passé en plénière avec une majorité confortable des deux-tiers. Mais on était de plus en plus contre au Japon (le pays de l’une des plus importantes flottes de pêche lointaine du monde) à causedes droits de pêche préférentiels et du règlement obligatoire des litiges. En conséquence, Tokyo a ordonné à sa délégation de s’abstenir au lieu de voter en faveur du plan USA-Canada s’il était amendé par cette proposition Brésil-Cuba-Uruguay.
Au final, il y a eu 54 voix pour et 28 contre, et cinq abstentions, le Liban étant absent. À une voix près, la majorité des deux-tiers n’était pas atteinte : la conférence échouait.
Dans les jours qui ont suivi, les chefs des délégations occidentales ont envoyé des dépêches à leurs gouvernements en faisant peser essentiellement la responsabilité de l’échec sur trois pays : l’Inde, le Chili et l’Équateur. Le chef de la délégation de Nouvelle-Zélande, Robert Quentin-Baxter, résumant les facteurs ayant conduit à ce résultat, déclarait que l’Inde était le plus grand contributeur parce que son opposition au plan USA-Canada avait « donné du cœur à l’ouvrage » à ceux qui réclamaient des mers territoriales élargies, avait incité certains à modifier leurs positions, enhardi d’autres à tenir bon et à obtenir un meilleur accord.
Les concessions américaines n’avaient pas empêché le Chili de passer du soutien à l’opposition, ni l’Équateur de faire pression pour de « nouvelles demandes privées contre les États-Unis, auxquelles ces derniers ne pouvaient consentir. Ce qui a fait passer l’Équateur de l’abstention à l’opposition. Et le Japon, en réaction contre la proposition de droits de pêche préférentiels, est aussi passé du soutien à l’opposition. En définitive, ces évolutions ont suffi à priver les puissances maritimes de leur traité.
Crise de confiance
Les pays occidentaux ont considéré que cet échec de la conférence de 1960 constituait un problème important. Il a déclenché une crise de confiance dans le processus même d’élaboration des traités. S’ils n’étaient pas capables de réunir suffisamment de voix en faveur de leurs positions sur le droit de la mer, comment pouvaient-ils s’assurer que leurs intérêts soient bien représentés dans d’autres traités généraux multilatéraux ?
À la conférence suivante des Nations Unies sur le droit de la mer en 1973-1982, ils ont donc tenté de réaffirmer leur contrôle sur le processus en persuadant la conférence de s’éloigner d’un vote au profit d’un accord par consensus et d’un arrangement global.
Les pays de l’Asie-Pacifique jouaient un rôle central dans la campagne des États côtiers pour obtenir un meilleur contrôle sur leurs eaux côtières.
Pour de nombreux délégués, la présence non réglementée de flottes de pêche lointaine dans leurs eaux du large était inacceptable.
À une voix près, la majorité des deux-tiers n’était pas atteinte : la conférence échouait.
Pour plus d’information
https://legal.un.org/diplomaticconferences/1960_los/
Conférence des Nations Unies sur le droit de la mer, 1960
https://legal.un.org/diplomaticconferences/1973_los/
Troisième Conférence sur le droit de la mer (1973–1982)
http://www.fao.org/3/s5280T/s5280t00.htm#Contents
Le droit de la mer