Timor-Leste / GENRE
Femmes fortes, nation solide
Des recherches innovantes ont rassemblé des données qui contribueront à lutter contre les disparités entre les sexes et à améliorer la sécurité alimentaire
Cet article a été écrit par Joctan dos Reis Lopes (j.dosreislopes@cgiar.org), Agustinha Duarte (a.duarte@cgiar.org), chercheurs analystes au WorldFish Center, Timor-Leste, Alexander Tilley (a.tilley@cgiar.or), scientifique au WorldFish Center, Malaisie
En octobre 2018, Leocaldia de Araujo, femme de la pêche vivant dans un village de 300 habitants à la pointe nord de l’île d’Atauro au Timor-Leste, s’avançait d’un pas tranquille et assuré sur une estrade de la capitale, Dili. Elle représentait les travailleuses de la pêche lors du Forum national de la pêche, qui constituait le plus grand rassemblement concernant ce secteur depuis l’Indépendance. Sa présence devant une foule essentiellement masculine signalait le début d’une évolution dans les pêcheries de ce pays. Elle se présentait, elle-même et sa communauté, comme un exemple d’ami povu ki’ik (les pauvres et marginalisés) qu’il conviendrait d’écouter.
« Nous comprenons qu’il est nécessaire de bien gérer les ressources marines, dit-elle. Elles nous donnent la...
Timor-Leste / GENRE
Femmes fortes, nation solide
Des recherches innovantes ont rassemblé des données qui contribueront à lutter contre les disparités entre les sexes et à améliorer la sécurité alimentaire
Cet article a été écrit par Joctan dos Reis Lopes (j.dosreislopes@cgiar.org), Agustinha Duarte (a.duarte@cgiar.org), chercheurs analystes au WorldFish Center, Timor-Leste, Alexander Tilley (a.tilley@cgiar.or), scientifique au WorldFish Center, Malaisie
En octobre 2018, Leocaldia de Araujo, femme de la pêche vivant dans un village de 300 habitants à la pointe nord de l’île d’Atauro au Timor-Leste, s’avançait d’un pas tranquille et assuré sur une estrade de la capitale, Dili. Elle représentait les travailleuses de la pêche lors du Forum national de la pêche, qui constituait le plus grand rassemblement concernant ce secteur depuis l’Indépendance. Sa présence devant une foule essentiellement masculine signalait le début d’une évolution dans les pêcheries de ce pays. Elle se présentait, elle-même et sa communauté, comme un exemple d’ami povu ki’ik (les pauvres et marginalisés) qu’il conviendrait d’écouter.
« Nous comprenons qu’il est nécessaire de bien gérer les ressources marines, dit-elle. Elles nous donnent la nourriture et de l’argent. Nous sommes un maillon important de cette chaîne, et nous pouvons participer à cette gestion, pour nos familles et pour la génération à venir ».
Le Timor-Leste (ou oriental) est un jeune État qui occupe la moitié d’une île à l’extrémité orientale de l’archipel indonésien. Il a obtenu son indépendance de l’Indonésie en 1999. Plus de 80 % de la population habite en milieu rural, et vit de l’agriculture. Environ 60 % de cette population manque de sécurité alimentaire ; et 50 % des enfants souffrent de malnutrition à cause d’une alimentation trop peu diversifiée. La flottille de pêche est petite et presque totalement artisanale : pirogues à rames et petits bateaux à moteur qui ciblent les pélagiques des récifs et du littoral à l’aide de filets maillants et de lignes à main.
Pour résumer la contribution des femmes à la longue et coûteuse marche vers l’indépendance au temps de la colonisation portugaise et de l’invasion indonésienne, un dicton local a été inventé : Feto forte, nasaun forte, ce qui veut dire Femmes fortes, nation solide. Mais les normes qui façonnent les relations sociales au Timor-Leste contredisent ce sentiment, car il existe bien des choses qui font obstacle à l’égalité des sexes.
La situation n’est pas différente dans la pêche. En général, ce secteur renvoie à des images d’hommes sur des bateaux. Cela est en train de changer progressivement à mesure que se mettent en place des systèmes de gouvernance plus inclusifs. Les Directives volontaires de la FAO visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté (Directives SSF) soulignent que l’égalité hommes-femmes constitue un volet essentiel d’une gouvernance efficace des pêches. Elles insistent sur le fait que les acteurs et les programmes de la pêche doivent considérer les femmes comme contributrices à part entière à la pêche artisanale, comme moteurs des économies locales grâce à leur engagement dans tous les maillons des chaînes de valeur de ce secteur. À cette fin, il importe de combler les lacunes en matière de données sur les questions de genre et de s’attaquer aux obstacles à tous les niveaux.
Confiance et acceptation
La gouvernance inclusive ne se limite pas à accorder à toutes les parties prenantes la possibilité de participer aux prises de décision. Elle considère plutôt que les utilisateurs de la ressource (hommes et femmes) sont le point final à l’aune duquel il convient de mesurer le succès ou l’échec. La légitimité des règles et réglementations en matière de gestion despêches est directement liée au degré de confiance et d’acceptation que les utilisateurs de la ressource (hommes et femmes, groupes socio-économiques) accorderont au processus.
Jusqu’à une date récente, les responsables des pêches du Timor-Lest se sont exclusivement intéressés aux « hommes dans leurs bateaux ». Mais de nouvelles recherches sont en train de prêter main forte pour boucher les trous en matière de données sur les problèmes de genre. Elles mettent en évidence l’importance de l’engagement des femmes, de leur contribution aux activités de pêche du pays, aux flux de distribution des aliments aquatiques aux ménages et au sein des réseaux sociaux. Le recensement national montrait que 5 % des ménages du littoral participaient à la pêche. Mais de nouvelles recherches qui intègrent les activités des femmes et la pêche de subsistance estiment que le pourcentage pourrait atteindre 80 % des ménages dans de nombreuses régions côtières défavorisées. Cela prouve qu’il faudrait plus d’égalité hommes-femmes dans la collecte des données, et mieux faire pour intégrer les considérations de genre dans les politiques et les programmes. Par ailleurs, l’amélioration des données de genre conduit à une nouvelle appréciation du lien étroit entre pêche côtière et sécurité alimentaire des zones rurales, particulièrement en temps de crise. Ces choses donnent lieu à une nouvelle volonté politique, un nouvel élan aux pêcheries du Timor-Oriental, ce qui devrait permettre de promouvoir des objectifs de développement plus larges.
Cinq exemples vont illustrer les principaux types de pêche pratiqués par les femmes. On peut les comparer au stéréotype traditionnel : la pêche au large est pratiquée par des hommes sur des bateaux. Les activités des femmes sont primordiales mais souvent laissées de côté dans les rapports sectoriels, l’élaboration des politiques et des programmes.
Sur l’île d’Atauro, la pêche traditionnelle au harpon, avec des lunettes en bois faites à la main et une lance hawaïenne, est pratiquéedepuis plus d›un siècle par de petits groupes de femmes qui ciblent les poissons de récif, et qui récoltent aussi des palourdes et autres coquillages dans les habitats en bordure de récif. Ce sont les «sirènes» du Timor-Leste, les femmes plongeuses (Wawata Topu) qui, depuis quatre générations, s’efforcent d’extraire leurs moyens de subsistance de la mer. Leur savoir-faire dans ce domaine se transmet d’une génération à l’autre. La nourriture extraite de la mer fait partie de leur régime habituel, tout comme la pêche fait partie de leur culture. Cette activité est une source directe de bonne nourriture et de revenus pour les membres de la famille qui s’adonnent à divers modes de transformation de la ressource.
Le second exemple concerne des femmes qui, tout au long de l’année, cultivent des algues dans des villages côtiers où l’environnement se prête à cette activité. Elles passent des heures au soleil en marchant le long des filins qui retiennent les algues parallèlement au rivage. Elles enlèvent les débris et des algues qui viennent s’y accrocher, et vérifient l’ancrage des filins pour résister aux courants forts. Les algues sont récoltées régulièrement (presque chaque semaine) puis mises dans des sacs ou paniers confectionnés avec des feuilles sèches de palmiers, ou étendues au soleil. Chaque samedi, elles sont transportées par bateau, par rickshaw (tiga roda) via la mauvaise route qui mène au marché local (basar). Les femmes qui n’ont pas de quoi payer le transport doivent marcher pendant des heures le long de la falaise avec leur récolte sur la tête ou sur les épaules. Les algues vendues localement, généralement fraîches et crues, entrent dans une recette du lieu appelée budutasi. Elles sont mélangées avec divers autres ingrédients : jus de citron, piment, ail, tamarin… Le prix à l’exportation des algues séchées est très faible, mais c’est une source de revenu significative pour ces communautés isolées où les cultures de rapport sont rares.
Le troisième exemple porte sur la cueillette, qui est une activité très populaire au Timor-Leste. Femmes et enfants récoltent des mollusques, des crabes, des algues, des poissons, des poulpes sur l’estran, dans la mangrove et autres endroits peu profonds lorsque la mer se retire. Un article publié récemment (Contribution of women’s fisheries substantial, but overlooked, in Timor-Leste) note que si ces personnes ne prélèvent pas grand-chose, elles reviennent généralement à la maison avec quelque chose. Les hommes passent bien plus de temps en mer et ont des taux de capture en baisse. Les retombées des activités de cueillette sur les récifs proches des communautés sont vraisemblablement substantielles. Et les personnes qui observent quotidiennement ces ressources ont recueilli aussi un savoir inégalé sur leur dynamique écologique dans l’espace et dans le temps.
Femmes et enfants
Il va de soi que ce savoir devrait être reconnu par les structures officielles de la gouvernance, pour contribuer utilement à la gestion des ressources concernées. L’une des façons de procéder pourrait être une saine collaboration entre communautés et pouvoirs publics ou autres institutions, autrement dit la cogestion. Des travaux récents ont évalué la pertinence de ce système pour les pêcheries du Timor-Leste. Il en ressort très clairement qu’il peut donner lieu à une gouvernance inclusive en se fondant sur la pratique rituelle locale du tara bandu, qui interdit les activités désignées sous peine de sanctions spirituelles et matérielles. Dans ce pays, le secteur de la pêche et ses chaînes de valeur fonctionnent sur un mode essentiellement informel. Et on ne tient guère compte du fait que, dans les villages, bon nombre de femmes commercent : elles achètent et vendent du poisson frais, des aliments aquatiques séchés, confectionnent et vendent des plats traditionnels, fabriquent des objets d’artisanat, des ornements avec des coquillages (colliers et bagues à partir de mollusques, bivalves et gastéropodes). Le poisson cuit au barbecue est ce qui accompagne le plus souvent le Katupa, une emblématique préparation locale : du riz enveloppé dans des feuilles de cocotier tressées et cuit avec de l’huile de noix de coco fraîche. Les échoppes proposant poisson et katupa sont alignées le long des routes qui traversent les petits villages du pays. Elles sont un important maillon de la chaîne de valeur qui va du pêcheur au consommateur.
À Beacou, un petit village situé près de la frontière occidentale, sur la côte nord, un groupement de femmesa développé des préparations à base de poisson au sein d’une entreprise sociale visant à améliorer la nutrition en facilitant l’accès au poisson. Cela est particulièrement important pour les femmes allaitantes et les bébés de moins de deux ans. Cela permet de diversifier suffisamment l’alimentation pour que l’enfant bénéficie de micronutriments indispensables à son développement. La poudre de poisson est un mélange de chair de poisson, de feuilles de marungi (Moringa oleifera), de crevette séchée, de graines de sésame rôties et d’épices. Il y a aussi des conserves de sardine en pots. Depuis 2019, ces produits commencent à être achetés et distribués par des supermarchés locaux de la capitale, Dili.
Afin de suivre les progrès réalisés par les pays vers les Objectifs de développement durable des Nations Unies, vers les objectifs des Directives SSF, une première étape consiste à bien comprendre, sur la base de faits concrets, la façon dont hommes et femmes apportent leur contribution aux activités de pêche. L’apport étendu et crucial des segments où prédominent les femmes reste à ce jour méconnu dans les données et indications servant à élaborer les politiques et les programmes.
Il est donc évident que, en matière de suivi et de gestion des pêcheries nationales, on doit pouvoir disposer d’instruments sexospécifiques. Les femmes pêchent, cultivent des algues, commercent, gèrent le ménage, élèvent des enfants. Mais la dynamique du genre et les obstacles qu‘elle crée (y compris des normes restrictives) continue à faire perdurer les lacunes dans ce domaine. Les asymétries et déséquilibres de pouvoir engendrent des inégalités de gouvernance dans ce secteur, du local jusqu’au national.
Le travail de WorldFish et de ses partenaires, et de pêcheurs comme Leocaldia, montre qu’on peut faire usage de données, de recherche participative pour exposer obstacles, disparités et lacunes. Preuves documentaires et démarches innovantes pourront contribuer à faire évoluer le secteur de la pêche vers plus d’intégration pour le bien-être de tous les travailleurs de la pêche. En ayant les yeux fixés sur les Objectifs de développement durable, rallions-nous derrière ces mots : Feto forte, nasaun forte. Ce doit être l’appel à l’action dans tous les secteurs du pays, y compris bien sûr la pêche !
La pêche est une source directe de bonne nourriture et de revenus pour les membres de la famille qui s’adonnent à divers modes de transformation de la ressource.
Femmes et enfants récoltent des mollusques, des crabes, des algues, des poissons, des poulpes sur l’estran, dans la mangrove et autres endroits peu profonds lorsque la mer se retire.
Les Directives insistent sur le fait que les acteurs et les programmes de la pêche doivent considérer les femmes comme contributrices à part entière à toutes les chaînes de valeur de la pêche artisanale.
Les femmes pêchent, cultivent des algues, commercent, gèrent le ménage, élèvent des enfants.
Pour plus d’information
https://link.springer.com/article/10.1007/s13280-020-01335-7
Au Timor-Leste, la contribution des femmes au secteur de la pêche est importante, mais passe inaperçue
http://www.fao.org/3/i7419fr/I7419FR.pdf
Pour l’équité hommes-femmes dans la gouvernance et le développement de la pêche artisanale : Guide pour appuyer la mise en œuvre des Directives volontaires visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté
https://extranet.who.int/nutrition/gina/sites/default/files/TLS%202014%20National%20Nutrition%20Strategy.pdf
Timor-Leste : Stratégie nationale de la nutrition 2014-2019