Brésil / COVID-19
Conflits en Amazonie
Le Covid-19 menace des communautés autochtones fragiles et un programme pour des moyens de subsistance et de préservation de poissons d’eau douce
Cet article a été écrit par Felipe Rossoni (felipe@ amazonianativa.org.br), biologiste et indigéniste dans la gestion des pêches, Leonardo Kurihara (leonardo@amazonianativa.org.br), biologiste et coordinateur de projet, Gustavo Silveira (gustavo@amazonianativa.org.br), sociologue et coordinateur de programme pour l’OPAN (Operacao Amazonia Nativa), Amazonie, Brésil. Traduit en anglais par Rodrigo Ferreira.
Les populations autochtones et rurales de l’Amazonie ont été durement touchées par le Covid-19. Une note publiée le 10 juin par la COIAB (Coordination des organisations de l’Amazonie brésilienne) à la demande du gouvernement brésilien déclarait que les actions des agences officielles visant à faire face à la pandémie étaient regrettables. « Jusqu’à présent, les réponses de la FUNAI (Fondation nationale de l’Indien) et du SESAI (Secrétariat spécial à la santé indigène) pour contrer le virus ont été lentes, mal coordonnées et insuffisantes. Le Covid-19 est entré sur les territoires indigènes et s’y répand rapidement. Nous sommes au bord...
Brésil / COVID-19
Conflits en Amazonie
Le Covid-19 menace des communautés autochtones fragiles et un programme pour des moyens de subsistance et de préservation de poissons d’eau douce
Cet article a été écrit par Felipe Rossoni (felipe@ amazonianativa.org.br), biologiste et indigéniste dans la gestion des pêches, Leonardo Kurihara (leonardo@amazonianativa.org.br), biologiste et coordinateur de projet, Gustavo Silveira (gustavo@amazonianativa.org.br), sociologue et coordinateur de programme pour l’OPAN (Operacao Amazonia Nativa), Amazonie, Brésil. Traduit en anglais par Rodrigo Ferreira.
Les populations autochtones et rurales de l’Amazonie ont été durement touchées par le Covid-19. Une note publiée le 10 juin par la COIAB (Coordination des organisations de l’Amazonie brésilienne) à la demande du gouvernement brésilien déclarait que les actions des agences officielles visant à faire face à la pandémie étaient regrettables. « Jusqu’à présent, les réponses de la FUNAI (Fondation nationale de l’Indien) et du SESAI (Secrétariat spécial à la santé indigène) pour contrer le virus ont été lentes, mal coordonnées et insuffisantes. Le Covid-19 est entré sur les territoires indigènes et s’y répand rapidement. Nous sommes au bord du chaos…Masquer la réalité ne résoudra pas le problème ».
La COIAB a fait état de l’impact de la pandémie dans ses différents bulletins, suite aux efforts inlassables et aux relevés effectués par le mouvement des populations indigènes. Au 5 septembre, 22 486 cas de Covid-19 étaient confirmés dans cette population ; 682 cas suspects et 646 décès étaient relevés dans un ensemble de 96 groupes autochtones.
Ces résultats prennent en compte les données du SESAI plus celles des enquêtes de la COIAB (non incluses dans les enquêtes officielles du SESAI) portant sur les certificats de décès et des informations obtenues directement auprès de responsables indigènes, d’agents de santé indigènes et d’organisations du réseau COIAB. L’APIB (Articulation des peuples indigènes du Brésil) est un forum auquel participe la COIAB. Elle a un système de suivi indépendant pour le Covid-19. Ses données établissent qu’un total de 127 groupes autochtones sont touchés par le virus dans l’Amazonie brésilienne, y compris les Warao, des réfugiés du Vénézuela.
En plus de la pandémie, la crise politique inquiète aussi les représentants indigènes. La communication de la COIAB au gouvernement brésilien disait ceci : « Nous luttons chaque jour pour survivre face au Covis-19, mais aussi à cause du démantèlement des politiques indigènes, du manque de protection et de démarcation de nos territoires, de la montée de la cupidité sur nos terres et dans nos vies, de l’assassinat de leaders, du calendrier anti-indigène du gouvernement fédéral. Après avoir résisté au virus, ce n’est pas la « normalité » nationale que nous accepterons ».
Groupes indigènes
Au Brésil, les territoires des communautés traditionnelles officiellement reconnus se composent de Terres indigènes habitées par des groupes autochtones, de Quilombos pour les communautés traditionnelles d’ascendance africaine, d’Aires protégées d’utilisation durable qui peuvent être des territoires de peuples riverains, pour des caiçaras (communautés côtières traditionnelles) et des travailleurs extractivistes. Ces territoires sont historiquement considérés comme les zones les plus grandes et les plus protégées d’Amazonie. La garantie du droit foncier traditionnel, la santé et l’éducation sont des conditions essentielles pour que ces groupes puissent vivre dans la dignité, la souveraineté alimentaire, la sécurité sociale, le bien-être collectif et l’autonomie.
Les pressions extérieures exercées sur ces territoires en temps de pandémie aggravent les risques et les menaces. En plus des conséquences environnementales et sociales engendrées par une exploitation inconsidérée et illégale des ressources naturelles, l’invasion de ces territoires expose les communautés indigènes, quilombola et riveraines au Covid-19. Le virus peut pénétrer en profondeur dans les villages et communautés, même loin des centres urbains. Dans ces endroits, les agences officielles ne font pas de tournées d’inspection. Les services de santé y sont précaires, avec de médiocres infrastructures et très peu de personnel qualifié. Et il faut prendre en compte les distances énormes dans l’espace géographique amazonien. Et aussi les coutumes traditionnelles propices à la promiscuité sociale : partage des repas, du logement, des rites : toutes choses qui constituent des conditions idéales pour une rapide contamination d’individus, de villages, de communautés entières.
On pourrait croire que les groupes autochtones volontairement isolés ou ayant peu de contacts extérieurs soient mieux protégés du Covid-19, d’autant plus que leurs territoires sont certifiés par l’État. En fait, c’est exactement le contraire. Ils sont plongés dans un manque flagrant de sécurité territoriale et confrontés à d’incessantes invasions (exploitations minières et forestières illégales, trafic de stupéfiants…). Le niveau d’inquiétude est particulièrement élevé dans le secteur du fleuve Solimoes, où l’on trouve le plus grand nombre mondial de groupes autochtones isolés ourécemment contactés.
Il y a aussi des groupes autochtones qui vivent dans des territoires (certifiés ou pas) situés près de grandes villes. Ce sont les plus vulnérables car ils sont généralement plus dépendants de produits extérieurs et ont plus de contacts contacts extérieurs et commerciaux avec des populations non autochtones. C’est là qu’on peut voir des gens se déplacer en nombre entre villes et villages, et pas souvent soucieux de respecter les indispensables mesures de prévention individuelles. Il y a aussi des populations indigènes qui habitent dans les villes de l’intérieur de l’Amazonie et dans les capitales provinciales du Brésil, et qui sont généralement dans une grande vulnérabilité sociale.
La pêche, qui est une antique pratique en Amazonie, montre clairement la complexité des répercussions du Covid-19. Au fil du temps, elle a acquis une importance commerciale locale, devenant ce qu’on appelle maintenant la pêche à petite échelle ou artisanale, et qui fait travailler directement ou indirectement des milliers de gens dans tout le bassin de l’Amazone. C’est l’un des principaux moyens de subsistance dans cette immense région. Elle assure aux communautés éparpillées dans leurs territoires la souveraineté alimentaire et une certaine abondance.
Mais la pêche peut aussi donner lieu à une contamination lorsque le pêcheur s’expose en allant vendre le surplus de sa production sur le marché local, ce qui est chose fréquente dans les communautés autochtones et riveraines situées à proximité d’agglomérations. En Amazonie, le virus circule principalement via les flottilles de navires (pirogues pour déplacements courts, gros bateaux couvrant des distances moyennes ou longues entre diverses municipalités). Il est déjà arrivé bien loin. Sur les 62 municipalités de l’État d’Amazonie, seulement deux n’ont pas encore enregistré de cas de Covid-19. Et c’est seulement à Manaos, la capitale, qu’il y a des lits en soins intensifs.
Les dangers du Covid-19 et les dégâts environnementaux causés par les invasions entourent les zones de gestion communautaire de l’espèce appelée pirarucu (Arapaima gigas) qui est l’un des plus gros poissons d’eau douce du monde. Des communautés locales, des ONG et des gouvernements se sont engagés à gérer ce poisson. Les chosesont évolué au mieux afin de mettre un terme à l’exploitation agressive qui menaçait la population sauvage. Le pirarucu est commercialement éteint dans les zones où une gestion n’a pas été mise en place. Les premières initiatives de commercialisation du pirarucu géré ont eu lieu il y a une vingtaine d’années. Depuis il est admis que sa gestion communautaire a produit une impressionnante activité économique, très efficace en matière de préservation de la biodiversité et de bien-être pour les communautés locales. Cela se passe dans des aires protégées (Territoires indigènes, Réserves extractivistes) ou des zones bénéficiant de droits de pêche officiels. Plus de 5 000 personnes (autochtones et riverains) sont directement impliquées dans la gestion de ce poisson. Ils protègent des millions d’hectares de forêts, de marais et d’espaces aquatiques naturels.
Effets multiples
Ils produisent annuellement environ 3 000 tonnes de pirarucu géré dans un système de quotas autorisés et de contrôles par les agences gouvernementales en charge. Tout cela contribue directement aux Objectifs de développement durable : lutte contre la pauvreté, sécurité alimentaire, qualité de la nourriture, environnement plus sûr et plus sain, inclusion des femmes et des jeunes dans la vie économique, croissance économique durable, répartition plus juste des revenus, protection des moyens de subsistance locaux, atténuation des effets du changement climatique.
Dans le contexte actuel de pandémie, les groupements de pêcheurs et les organisations d’appui sont confrontés à de sérieux défis avec l’arrivée de la saison de pêche entre août et novembre. La protection territoriale des zones sous gestion est assurée par un système de surveillance qui est opérationnel tout au long de l’année, avec un suivi renforcé au cours de la saison des inondations (qui facilite l’entrée des envahisseurs) et de la période creuse (où il est plus facile de pêcher). Ce sont les pêcheurs eux-mêmes qui assurent la surveillance et le suivi. Ils ne sont pas payés pour cela, et il y a des frais de carburant pour le transport et de nourriture pour les équipes de surveillance.
En moyenne, le maintien de ce système de protection collective représente 40-45 % des coûts de gestion du pirarucu. Mais si les groupes de gestion de cette pêcherie n’accomplissaient pas ces tâches, il y aurait sur le territoire des envahisseurs attirés par les gros stocks de pirarucu protégés par les communautés. Ces incursions entraîneraient la perte des poissons illégalement prélevés et feraient également fuir des bancs entiers, ce qui affecterait directement les quotas de pêche des groupes gestionnaires, et se traduirait par d’importantes pertes financières. Pour maintenir le système de protection, payé par les pêcheurs eux-mêmes, il est indispensable qu’ils puissent prélever le quota autorisé, et que les coûts de la surveillance soient couverts par les rentrées d’argent provenant de la commercialisation de leurs prises.
La pêche annuelle autorisée du pirarucu exige un certain nombre d’opérations : comptage de la population, prélèvement, transformation et transport jusqu’à l’acheteur, qui peut être le marché libre ou une grosse usine qui affinera la transformation. Ces activités qui sont exécutées de manière collective donnent lieu à des réunions de préparation, à la constitution d’équipes, à la fourniture d’infrastructures pour les camps et les expéditions jusqu’aux lacs sous gestion, puis à la capture, au transport via les communautés jusqu’à la municipalité la plus proche ou la destination finale.
Généralement, des représentants des groupes gestionnaires doivent être présents à toutes ces étapes, ce qui n’est manifestement pas conforme aux mesures de précaution préconisées pour empêcher la propagation du virus. En outre, dans le contexte économique actuel, le marché est profondément affecté et ne peut garantir la demande pour ce poisson sous gestion, ce qui peut entraîner une baisse des cours, peut-être même en dessous des niveaux de 2019 qui étaient déjà inférieurs à un seuil de rentabilité raisonnable.
Les communautés indigènes et riveraines, les personnels de santé et les organisations d’appui du Brésil font des efforts collectifs pour s’occuper des personnes contaminées et pour empêcher la propagation du virus dans les zones rurales de l’Amazonie. Ils essaient de réduire autant que possible les sérieuses répercussions de cette pandémie.
Les Paumari se déplacent le long du fleuve Tapauádans dans leurs embarcations traditionnelles. Ici, ils préparent un repas avec le poisson qui assure leur subsistance.
Nous luttons chaque jour pour survivre face au Covid-19, mais aussi à cause du démantèlement des politiques indigènes, du manque de protection et de démarcation de nos territoires...
Il est admis que la gestion communautaire du pirarucu a produit une impressionnante activité économique, très efficace en matière de préservation de la biodiversité et de bien-être pour les communautés locales.
Les communautés indigènes et riveraines, les personnels de santé et les organisations d’appui du Brésil font des efforts collectifs pour s’occuper des personnes contaminées…
Pour plus d’information
https://www.devex.com/organizations/coordination-of-the-indigenousorganizations-of-the-brazilian-amazoncoiab-135182
Coordination des Organisations Indigènes de l’Amazonie Brésilienne (COIAB)
http://toobigtoignore.net/small-scalefishing-community-mobilization-in-brazilamidst-multi-faceted-challenges/
Mobilisation de la petite pêche communautaire du Brésil face à de multiples défis
https://www.telegraph.co.uk/news/2020/07/20/fears-brazil-healthworkers-brought-covid-19-indigenouscommunities/
Au Brésil, on craint que des agents sanitaires aient apporté le Covid-19 dans les communautés autochtones
https://www.nationalgeographic.com/history/2020/06/disaster-loomsindigenous-amazon-tribes-covid-19-cases-multiply/
Un désastre menace les tribus indigènes de l’Amazonie alors que les cas de COVID-19 se multiplient
https://theconversation.com/indigenouspeople-may-be-the-amazons-lasthope-130941
Les populations autochtones sont peut-être le dernier espoir de l’Amazonie