ÉDITORIAL
Pour nourrir 9 milliards de gens
Inclure la pêche et l’aquaculture dans les programmes nutritionnels, en veillant au respect des droits humains
La nourriture extraite de l’environnement aquatique constitue une source complète, exceptionnelle de macro et micronutriments indispensables pour une alimentation équilibrée. Et pourtant, jusqu’à une date récente, le poisson et les pêcheurs n’ont guère figuré dans les débats politiques globaux relatifs à la sécurité alimentaire et la nutrition, qui minimisaient de toute évidence l’intérêt de cette source. Le poisson a également été étonnamment absent des stratégies de réduction des carences en micronutriments malgré tous ses effets bénéfiques dans ce domaine. Ce sont là des observations exprimées dans deux documents récents approuvés par des pairs et destinés aux décideurs politiques au plus haut niveau.
Pour la première fois dans ses quarante ans d’histoire, à l’occasion de sa 41ème session, le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) de la FAO a accordé à la pêche une priorité élevée (voir p. 4, Un programme ferme). Cela plantait le décor pour la deuxième Conférence internationale sur la nutrition (CIN2) organisée conjointement par la FAO et...
ÉDITORIAL
Pour nourrir 9 milliards de gens
Inclure la pêche et l’aquaculture dans les programmes nutritionnels, en veillant au respect des droits humains
La nourriture extraite de l’environnement aquatique constitue une source complète, exceptionnelle de macro et micronutriments indispensables pour une alimentation équilibrée. Et pourtant, jusqu’à une date récente, le poisson et les pêcheurs n’ont guère figuré dans les débats politiques globaux relatifs à la sécurité alimentaire et la nutrition, qui minimisaient de toute évidence l’intérêt de cette source. Le poisson a également été étonnamment absent des stratégies de réduction des carences en micronutriments malgré tous ses effets bénéfiques dans ce domaine. Ce sont là des observations exprimées dans deux documents récents approuvés par des pairs et destinés aux décideurs politiques au plus haut niveau.
Pour la première fois dans ses quarante ans d’histoire, à l’occasion de sa 41ème session, le Comité de la sécurité alimentaire mondiale (CSA) de la FAO a accordé à la pêche une priorité élevée (voir p. 4, Un programme ferme). Cela plantait le décor pour la deuxième Conférence internationale sur la nutrition (CIN2) organisée conjointement par la FAO et l’OMS (Organisation mondiale de la santé). Les ministres représentant 193 pays et les diverses autres délégations étaient confrontés à deux défis principaux : comment faire face au problème de la malnutrition dans le monde d’aujourd’hui, comment renforcer le système alimentaire pour faire en sorte que, à l’horizon 2050, la planète produise suffisamment de nourriture pour répondre aux besoins d’une population estimée alors à 9 milliards de personnes.
La pêche et l’aquaculture ont un rôle central à tenir pour contribuer à résoudre ces problèmes, dans la mesure où elles se développeront de manière sensée, règlementée, tant sur le plan social qu’environnemental. Les organisations de la société civile (OSC) participant à la 41ème session du CSA faisaient valoir que cela nécessitait un rééquilibrage des rapports de force dans le système alimentaire et tout au long de la chaine de valeur dans le secteur des pêches, et aussi un appui concret aux pêcheurs artisans pour qu’ils puissent nourrir convenablement leurs familles et leurs communautés. Si elles donnent lieu justement à des applications concrètes, les Directives d’application volontaire visant à assurer la durabilité de la pêche artisanale dans le contexte de la sécurité alimentaire et de l’éradication de la pauvreté constitueront un outil essentiel pour parvenir à ces fins.
Résoudre le problème de la malnutrition est théoriquement à notre portée. Si des gens ont faim, ce n’est pas par manque de nourriture sur notre planète. Ils ont faim parce qu’ils n’ont pas accès à des aliments nutritifs. Le problème c’est de ne pas avoir accès à la terre et à l’eau pour pouvoir produire de la nourriture, ou de n’avoir pas les moyens d’en acheter. Cela est dû en partie à la privatisation des zones côtières, des masses d’eau, et à la dégradation de l’environnement aquatique sous l’effet d’activités qui sont soit liées à la pêche, soit étrangères à la pêche. La force brutale de la pêche et de l’aquaculture industrielles et les activités qui dégradent l’environnement aquatique devront être freinées tandis qu’on accordera à la pêche et à l’aquaculture artisanales la priorité qu’elles méritent.
Le poisson arrive dans nos assiettes moyennant un coût social souvent élevé. La majeure partie (jusqu’à 60 %) du poisson que nous consommons provient de la pêche ou de l’aquaculture artisanales, qui représentent également au moins 90 % des emplois fournis par ces secteurs d’activité. Et pourtant la pauvreté et le sous-développement touchent durement les communautés de petits pêcheurs, ce qui les rend vulnérables face aux catastrophes naturelles ou provoquées par l’homme, face aux activités prédatrices menées par des intérêts industriels. Elles restent ainsi à l’écart de l’évolution générale sur le plan social et économique.
Le travail et la contribution des femmes (qui constituent au moins 50 % de la main-d’œuvre) pour produire du poisson, pour l’apporter au consommateur, ne font toujours pas l’objet d’une reconnaissance appropriée. Dans la pêche comme dans d’autres secteurs, les femmes peuvent souffrir de discrimination, d’abus divers. Elles sont une part importante de cette main-d’œuvre migrante qui tient une place de plus en plus grande dans la pêche et l’aquaculture, qui subit aussi des conditions de travail très rudes. C’est pour cela que les OSC ont demandé au CSA 41 d’accorder une priorité élevée aux femmes de la pêche et de l’aquaculture via diverses mesures : action positive, planification appropriée, législation, reconnaissance de droits, attribution de ressources, promotion de leur contribution à la sécurité alimentaire et à la nutrition.
Il est grand temps que la pêche et l’aquaculture trouvent leur juste place dans les programmes nutritionnels nationaux. Mais il ne faudrait pas que la sécurité alimentaire et le bien-être nutritionnel s’obtiennent au détriment des droits humains des travailleurs de la pêche et de l’aquaculture de par le monde et des communautés de pêche qui dépendent des ressources aquatiques vivantes pour leur subsistance, leurs revenus, leur bien-être, leur avenir. La marche vers les objectifs nutritionnels doit être accompagnée d’une approche fondée sur les droits humains dans la production alimentaire. On tendra donc vers les objectifs du développement définis dans le document final de la Conférence Rio+20 (L’avenir que nous voulons), en mettant en place les conditions du travail décent dans les secteurs de la pêche et de l’aquaculture, conformément aux conventions de l’Organisation internationale du travail, notamment la Convention sur le travail dans la pêche (C. 188).