Europe : Politique de la pêche
Équité ou efficacité ?
Orientée vers une privatisation, l'UE aura du mal à trouver un équilibre entre objectifs sociaux et économiques de la nouvelle PCP
Cet article a été écrit par Jeppe Høst (jeppehoest@gmail.com), doctorant à l'Université de Copenhague
L'une des principales composantes de la proposition de la Commission européenne (CE) pour une nouvelle Politique commune de la pêche (PCP) au sein de l'Union européenne (UE) est un système obligatoire de Concessions de pêche transférables (CPT). Avec ces CPT, l'accès aux ressources marines devient comme un bien négociable. Cette proposition doit encore passer par le Parlement et ensuite par le Conseil, mais cela indique clairement la direction du vent pour les pêcheurs européens et leurs communautés.
La CE propose donc d'introduire un système de CPT pour tous les navires de plus de 12 m de long et pour tous ceux qui opèrent avec un engin tracté (les chalutiers). Dans la pratique, cela veut dire que les concessions de pêche—c'est-à-dire le droit à une certaine partie de l'effort (intrants) ou part de captures (extrants)— seront attribuées à des pêcheurs individuels (essentiellement les propriétaires de navires) qui pourront acheter ou vendre ces...
Europe : Politique de la pêche
Équité ou efficacité ?
Orientée vers une privatisation, l'UE aura du mal à trouver un équilibre entre objectifs sociaux et économiques de la nouvelle PCP
Cet article a été écrit par Jeppe Høst (jeppehoest@gmail.com), doctorant à l'Université de Copenhague
L'une des principales composantes de la proposition de la Commission européenne (CE) pour une nouvelle Politique commune de la pêche (PCP) au sein de l'Union européenne (UE) est un système obligatoire de Concessions de pêche transférables (CPT). Avec ces CPT, l'accès aux ressources marines devient comme un bien négociable. Cette proposition doit encore passer par le Parlement et ensuite par le Conseil, mais cela indique clairement la direction du vent pour les pêcheurs européens et leurs communautés.
La CE propose donc d'introduire un système de CPT pour tous les navires de plus de 12 m de long et pour tous ceux qui opèrent avec un engin tracté (les chalutiers). Dans la pratique, cela veut dire que les concessions de pêche—c'est-à-dire le droit à une certaine partie de l'effort (intrants) ou part de captures (extrants)— seront attribuées à des pêcheurs individuels (essentiellement les propriétaires de navires) qui pourront acheter ou vendre ces CPT. Certains États Membres comme les Pays-Bas et le Danemark ont déjà des systèmes officiels fondés sur le marché ; d'autres comme le Royaume-Uni ont des systèmes informels d'échange de permis et de droits de pêche. Dans la plupart des systèmes d'accès fermé, la valeur de l'accès est incluse dans le coût du navire ou du permis. L'aspect radical de la proposition de la CE c'est l'intégration dans le courant général de ce système obligatoire. Les océans ayant été considérés pendant longtemps comme un bien commun mondial et les ressources halieutiques comme une propriété publique, cette proposition est critiquée pour être une privatisation de ces espaces. Par son ampleur, ce serait assurément dans l'histoire de la PCP l'une des mesures les plus lourdes de conséquences. L'objectif déclaré est de s'attaquer au problème primordial de la surcapacité des pêches européennes.
L’Europe dispose d'une capacité de capture vaste et croissante qui exploite des ressources marines limitées. Ce problème découle d'une mauvaise performance économique car trop de capitaux ont été investis dans certains segments de la flotte, ce qui a mené à des rendements financiers médiocres. La performance économique est aggravée par d'autres facteurs : niveaux de capture en déclin, baisse des prix... Parmi les effets secondaires de la surcapacité, citons la pêche illégale et les débarquements en fraude, les navires à l'arrêt, le chômage, des demandes constantes de subventions. La surcapacité a aussi des incidences sur l'environnement, et elle fait monter la pression chez les gestionnaires des pêches chargés de répartir, attribuer des ressources limitées, décider qui pêche, où, quand et combien. Du point de vue de la CE, le problème de la surcapacité doit d'abord être éliminé avant de pouvoir s'attaquer à d'autres ; et c'est la raison d'être des CPT. D'après le Livre Vert de la CE (2009), la surcapacité est l'un des cinq échecs structurels de la PCP.
Loi du marché
En introduisant un système de gestion basé sur des droits transférables, on confie la responsabilité de l'attribution des droits de pêche au marché, perdant de ce fait un moyen de contrôle et d'influence sur la façon de répartir et de localiser ces droits. On prétend certes que les systèmes fondés sur le marché sont efficaces pour obtenir une réduction de la flotte en concentrant les concessions de pêche sur un plus petit nombre de navires, mais ils entraînent aussi des changements rapides et irréversibles dans la structure de la flotte et les relations sociales et économiques entre les gens. L'une des controverses porte sur l'attribution des concessions. Jusqu'à présent, la pratique a été d'accorder des droits de pêche à des propriétaires de navires. Si tout cela peut se justifier dans la mesure où il s'agit de réduire la flotte, cela change aussi la relation entre le capitaine et les membres de son équipage. Ces derniers entrent sous la dépendance du détenteur de la concession pour accéder à la ressource.
Comme le motif invoqué pour l'introduction des CPT est la mauvaise performance économique, on peut se demander comment un pêcheur pourra se porter acquéreur d'un autre. La réponse se trouve dans le lien entre concessions de pêche et systèmes financiers. Dans la plupart des cas, le pêcheur devra contacter un investisseur privé ou une banque et utiliser sa concession de pêche comme garantie à l'emprunt. Sans cet apport supplémentaire de capital (généré du fait de la privatisation de l'accès aux ressources halieutiques), la transférabilité, et donc la redistribution des concessions sur des unités plus profitables, deviendra un processus bien plus lent. La CE propose des concessions étalées sur une période limite de 15 ans ; et il serait intéressant de voir dans quelle mesure cela agira sur l'investissement dans les concessions et leur utilisation en garantie des opérations de crédit. On imagine mal que la répartition sera radicalement différente dans 15 ans.
Les États membres de l'UE sont confrontés au sérieux dilemme de l'équilibrage des objectifs sociaux et économiques dans la nouvelle PCP. En matière d'objectifs sociaux, il s'agit essentiellement de protéger l'emploi dans le secteur artisanal, de maintenir des communautés de pêche le long des côtes et ainsi de préserver aussi la culture traditionnelle du monde de la pêche dans l'UE. En matière d'objectifs économiques, il s'agit d'assurer l'efficacité des opérateurs. Dans un système fondé sur le marché, les deux types d'objectifs sont en conflit car la concentration sur des bateaux plus grands et à plus forte intensité de capital se traduira par une réduction du nombre de bateaux dans les communautés côtières qui survivront, donc par une perte d'emplois. Si la nouvelle PCP adopte comme outil d'attribution et de répartition des droits d'accès à la ressource un système de CPT fondé sur le marché, chaque État membre devra déterminer sa façon d’équilibrer ces objectifs économiques et sociaux contradictoires. Cette contradiction peut être résolue sur le plan politique en limitant et restreignant la possibilité qu'aura un individu ou une société d'acquérir et de vendre des droits de pêche sur le nouveau marché des concessions de pêche. Pour freiner les forces du libre marché et restreindre la centralisation des droits de pêche, le système fondé sur le marché pourra être doté de barrières destinées à sauvegarder les droits de pêche du secteur artisanal.
Critères de segmentation
Faire la distinction entre petits et grands bateaux en se basant sur la longueur est une pratique courante, qu'on peut cependant aisément juger contestable. Dans un système avec CPT, une telle segmentation créera deux marchés séparés pour les droits de pêche, et il sera donc possible de protéger le secteur artisanal de la puissance économique des gros opérateurs. Les propriétaires de navires dépassant une certaine taille (12 m, par exemple) ne seront pas autorisés à acheter des concessions à des navires de moins de 12 m. On peut aussi appliquer d'autres critères : puissance motrice, tonnage, nombre de membres d'équipage, durée des sorties, type d'engin... Mais la longueur du navire est probablement le critère le plus simple et le plus pratique, d'un point de vue bureaucratique ; et c'est pourquoi il est déjà utilisé dans la plupart des définitions techniques relatives à la pêche artisanale et la pêche industrielle par la CE et les États membres de l'UE.
On peut aussi multiplier la segmentation (bateaux de moins de 6 m, de 6 à 9 m, de 9 à 12 m, de 12 à 15 m...) pour que s'effectue la consolidation et la réduction des capacités. On peut ajouter diverses mesures, récompenser certains segments par l'attribution d'un quota supplémentaire sur une base annuelle et selon d'autres critères : type d'engin, durée des sorties, considérations écologiques (faible niveau de prises secondaires, engins de capture à faible impact sur le milieu...). Pour éviter la concentration des concessions entre trop peu de mains, on peut faire appel à différents instruments. La pêcherie de flétan d'Alaska, par exemple, utilise un système de blocs dans l'attribution des quotas.
Même si l'on appliquait toute une série de mesures destinées à maintenir un équilibre souhaitable entre réduction de la flotte et survie des communautés côtières, l'introduction d'un système de CPT constitue une évolution radicale, l'abandon du contrôle étatique au profit d'une privatisation pratiquement irrévocable de l'accès aux ressources halieutiques. La CE est maintenant bien décidée à mettre en œuvre un système conçu pour traiter le problème des surcapacités et pour remédier aux échecs structurels des politiques anciennes et actuelles. La question à un million de dollars est la suivante : que se passera-t-il à la suite de la privatisation soudaine des concessions de pêche ?
Pour plus d’information
http://eussf.icsf.net/icsf2006/jspFiles/euSSFisheries/french/home.jsp
La pêche à petite échelle/artisanale et la réforme de la PCP de l'UE
http://ec.europa.eu/fisheries/cfp/index_fr.htm
La Politique commune de la pêche
http://ec.europa.eu/fisheries/reform/index_fr.htm
Réforme de la Politique commune de la pêche